Réalisation :
James Gray
Photographie :
Harris Savides
Acteurs principaux :
Mark Wahlberg
Joaquin Phoenix
Charlize Theron
James Caan
Avec
The Yards Gray nous livre un véritable film noir, à l'ancienne. Ici pas d'explosions, de gunfights dégénérés, de fuck et de marres de sang dans tous les coins. Non juste un film sobre, épuré sur un pauvre mec dont la personnalité n'est pas faîte pour le monde et la famille dans laquelle il vit.
Le film commence sur un écran noir qui vient se peupler petit à petit de petites touches blanches, les lumières du tunnel du métro, la métaphore d'une toile que l'on peint progressivement. Dès cette intro on connait l'esthétique que Gray a voulu donner au film. Et Savides l'a fait. Ce chef op' de talent, inspiré par les tableaux sombres et contrastés de George de La Tour et d'autres peintres que je ne connais pas spécialement, a su donner au film une esthétique forte, une atmosphère pesante et stressante. En effet en sous-exposant les négatifs et par le biais d'autres techniques spécifiques il a pu désaturer l'image et donner aux noirs des teintes brunâtres et violacées. Teintes plus proches de la réalité que des noirs totalement noirs, ce qui n'existe pas dans la réalité. Cette technique met en valeur de nombreuses scènes du film dont la majorité se passe la nuit ou en intérieur mal éclairé (panne de courant à répétition, éclairage à la bougie). On a alors des contrastes très marqués, des jeux d'ombres qui viennent renforcer la dramatisation et la menace exercée par l'environnement, notamment ce ciel noir et lourd prêt à compresser les protagonistes.
The Yards est une histoire de rails. Les rails sur lesquels marchent les gangsters envoyés par James Caan pour saboter les métros de la compagnie concurrente mais également les rails qui guident notre vie, qui nous dirigent et nous font prendre des chemins à sens unique. Léo est un pauvre gars qu'on a envoyé en prison parce que lui n'a pas voulu dénoncer son pote et ses "collègues". Il a des principes, des valeurs qu'il se force à respecter. Mais le monde dans lequel il vit ne permet pas la rêverie, et pour vivre il faut gagner de l'argent. Léo est prêt à tout pour gagner sa vie le plus rapidement possible et se lance par naïveté dans une aventure qui le mènera à sa perte. Il veut s'échapper de ce monde qu'il déteste et auquel il est attaché malgré lui. La séquence d'ouverture avec ce travelling arrière à partir du métro nous transmet cette envie de s'arracher à cet univers urbain froid et statique.
Le rythme du film est très lent, très posé et permet à Gray de présenter correctement ses personnages. Les gros plans débutent ou viennent souvent ponctuer une séquence en plan large ce qui ne casse pas le mouvement et instaure un suspens intense lors des scènes d'action. Il utilise également beaucoup le travelling pour éviter au maximum un montage rapide.
Ses gros plans lui permettent de transmettre énormément d'émotions, émotions accentuées par la photographie de Savides. Les acteurs jouent d'ailleurs beaucoup avec leur visage, chacun ayant son masque correspondant à une émotion tout comme dans la tragédie grecque. Car oui ce film est une tragédie, l'amour, la trahison et la mort se font face. Le générique de fin rappelle cette tragédie grecque dans le sens ou il semble nous présenter les décors qui ont servis à raconter cette histoire vide de tout acteur.
Chez Gray un thème prédomine, les conflits familiaux. Ici on y échappe pas, il y a toujours cette figure paternelle opposée à des mecs encore en évolution, qui se cherchent. La mère est là pour réunir tout le monde et vaincre la violence par la douceur. Au contraire, le père est mauvais. Caan est un sale type et nous n'avons aucune information sur le père de Léo hormis qu'il n'a pas été là pour lui. Les jeunes n'ont pas de modèle sociale, pas de respect instauré dans la famille, pas de tradition, tout se disloque. Ces gamins sont livrés à eux-mêmes dans un monde qu'ils veulent quitter, et pour ça ils doivent gagner de l'argent, grandir le plus vite possible. Pourquoi aller à l'école apprendre un boulot de machiniste pour gagner une misère quand on peut bien gagner sa vie dans l'illégalité...
Willie et Léo sont deux potes, mais quand il s'agit de sauver sa peau un seul est prêt à trahir l'autre. Les apparences peuvent être trompeuses dans ce monde difficile. La mère de Léo dit elle-même: "Je regardais ces hommes d'affaires bien habillés qui allaient en ville. J'ai toujours espéré que tu en deviennes un. Ce genre de costumes t'irait bien. Oui mais... qui sait ce qu'ils font ?" Le mal peut s'incruster partout quand on est sans repères. Tout le monde trahit tout le monde pour s'en sortir et à la fin c'est toujours la mort qui gagne.
Finalement Léo est de retour au point de départ. Ses rails ne l'ont mené nulle part, et pire lui ont fait faire un détour qui l'a amené à trahir ses convictions pour s'en sortir face à d'autres qui n'hésitent pas à faire ce qu'il fait en dernier recours. C'est comme ça qu'un monde, qu'un amis, qu'une famille brise nos rêves. Nos rêves d'amour, de fraternité et de liberté.
9.5/10