Critique de films (4) : L'inspecteur Harry
De Don Siegel
J’avais entendu beaucoup de bien au sujet de ce premier épisode de la série (le meilleur parait-il) qu’est l’Inspecteur Harry. Bien avant que je ne découvre que certains internautes aimaient ce policier américain du début des années 70 au point de lui donner la note parfaite (10/10). Des éloges en veux-tu en voilà au point de propulser, le temps d’un mois de juillet, ce cher Dirty Harry en tête du Top 200 de Band of movies. Intrigué, j’ai donc saisi l’occasion d’une diffusion TV jeudi dernier pour découvrir ce classique que jusqu’ici, j’avoue, je n’avais jamais eu l’occasion de voir.
Force est de constater que ma déception fut à la hauteur de la curiosité et de l’attente que les critiques avaient suscité chez moi. Mettons tout de suite les malentendus et les procès d’intention de côté. L’inspecteur Harry est un policier au minimum correct, voire plutôt bon. En surface du moins. Mises à part une ou deux scènes de nuit un peu brouillonnes, la réalisation est maîtrisée. Le scénario n’est jamais renversant mais ménage une certaine intrigue. Quoique que le repérage rapide du tueur fou fasse vite glisser la série de meurtres qui nous était promise vers un jeu du chat et de la souris moins captivant. A ce sujet, il est absolument ahurissant qu’on nous présente, sans nous en donner la clé, une scène où un tueur cerné sur un toit parvienne à échapper à la police.
Peu importe la cohérence de l’ensemble pourrait-on penser. Puisque l’attraction principale se nomme Dirty Harry. Flic brutal, au passé sans doute sulfureux et exacerbé par la disparition de sa femme, Clint Eastwood incarne un inspecteur solitaire au verbe acerbe et aux méthodes à la limite du point de non retour. Ses postures et sa rhétorique travaillées rappellent à plus d’un titre ses rôles de mauvais garçon dans les westerns qui ont fait sa légende. Le problème c’est qu’il est le seul personnage qui existe. Le seul à qui l’on confie une épaisseur, des valeurs, fussent-elles peu louables. Bref un personnage à incarner, un rôle à jouer. Autour de lui, c’est le vide. Pas besoin de parler de son supérieur transparent ou du fade coéquipier qu’on lui colle dans les pattes. Jamais le réalisateur Don Siegel ne nous renseigne sur la personnalité, les motivations du tueur dont l’identité n’est pourtant pas l’un des intérêts du film. Est-il juste fou ? Vénal au point de tuer des inconnus ? Pédophile sur les bords ? Aucune façon de le savoir.
Ce que le film ne manque pas de nous dire par contre, c’est que les tueurs en série sont de méchants psychopathes que la loi devrait autoriser à faire liquider plutôt que de leur offrir un procès équitable. Qu’un film américain des années 70 défende aussi aveuglement la peine de mort n’est pas plus glorieux que ce que l’on reste peu surpris compte tenu de l’époque. Mais la ficelle est tellement grosse qu’elle en devient franchement encombrante. Qu’un inspecteur de police obéisse à peu près autant à ses supérieurs qu’au maire de la ville, ce n’est déjà pas très crédible. Même à San Francisco. Même en 1970. Mais que les enquêteurs relâchent un criminel dont ils ont la preuve de la culpabilité , c’est sans doute bien pour renforcer chez le spectateur passif l’idée d’une justice vendue, de l’impunité pour les salauds et du tous pourris. Mais c’est quand même sacrément contre-productif cinématographiquement parlant tant la chose est impensable dans tout pays civilisé.
Pas besoin d’avoir suivi Sciences Po pour voir que le rôle populiste confié au bad boy Dirty Harry est un vulgaire attrape-électeurs. Grâce à un procédé d’empathie grossier mais efficace chez les classes populaires, Clint ratisse large à droite. Très à droite. En bon flic qui doit désobéir aux ordres de sa stupide hiérarchie, soumise aveuglément à des lois américaines sous-entendues trop laxistes pour rendre la justice aux bons citoyens américains. Rien que ça. C’est aussi fin qu’un Schwarzy. Presque aussi radical qu’un épisode nauséabond d’Esprits criminels. Mais surtout un peu gênant politiquement quand on visionne l’Inspecteur Harry en 2011. Et qu’on croit à un minimum de valeurs humanistes.
6/10