LA LIGNE ROUGE-------------------------------------------
Terrence Malick (1998) |
10/10 En 1998, à quelques mois d'intervalle, sortaient 2 très grands films de guerre. Le premier Il faut sauver le soldat Ryan fut un véritable choc pour moi. Premier film de ce genre que j'avais la chance de voir au ciné (les maîtres étalon du film de guerre dataient déjà de quelques années), l'immersion fut pour moi totale, éprouvante, notamment grâce à une mise en scène époustouflante de Spielberg dans une première heure dantesque. Rarement un film ne m'avait autant projeté dans l'enfer et la furie de la guerre.
Quelques mois plus tard, un autre film faisait l'événement. Un projet d'un genre différent, plus confidentiel, qui marquait le retour d'un réalisateur mystérieux et inconnu pour moi. Ce film s’appelait la Ligne rouge et le réalisateur un certain Terrence Malick. Et l'expérience au cinéma fut peut-être pour moi alors la plus bouleversante de ma cinéphilie. Car je découvris alors une œuvre qui constitue pour moi le film de guerre ultime, le film somme (et plus encore) de tout ce qui a été dit avant sur le sujet. Avec cette fresque de 3h, filmée avec l' élégance rare et le style particulier de ce réalisateur, à la fois contemplatif et majestueux, Malick faisait de la bataille de Guadalcanal un récit humaniste et pacifiste, et une leçon de chose en terme de philosophie en comparaison au Ryan de Spielberg.
Le film adopte tour à tour différents regards, incarnés par une pléiade d'acteurs absolument fabuleuse. Chaque personnage est traité sur un pied d'égalité, il n'est pas question de héros ici; chaque grade, chaque poste, chaque vision, chaque "lumière intérieure" est ainsi décrite et retranscrite aux spectateurs. La peur, la folie, la résignation, le stress, le désespoir, le courage, tous ces sentiments prennent un sens particulier et sont incarnés par cette troupe de soldats. Leurs monologues intérieurs, mis en relief par des images de paradis perdu ou de flashbacks cristallisés de leur vie d'avant, sont un contrepoint apaisé aux scènes de combat, de violence barbare ou d'élégie. Et cette frontière entre les 2, la ligne rouge, celle du front aussi, est terriblement mince. L'ennemi invisible évoqué lors de la scène fleuve de l'assaut d'une montagne, ajoute à cette sensation de danger, d'isolement et de peur viscérale, d'attente insoutenable.
A la différence de Spielberg et de ses effets d'immersion par la mise en scène et la technique, Malick use avant tout de l'identification envers les personnages pour impliquer le spectateur et pour le soumettre à ce point de vue tour à tour romantique et réaliste, et constamment sur le fil. Et à la boue de la Normandie, il préfère les images de paysages tropicaux, idylliques, mises à mal par la machine de destruction humaine; au courage et à l'honneur des soldats, il préfère la fragilité et la peur de ces hommes déracinés. A l'action et aux actes de bravoure, il préfère les questionnements et la politique. Et ces images, cette façon de faire, sont pour moi celles qui évoquent le mieux la barbarie et la folie de la guerre. Des images sublimes et évocatrices, d'une symbolique profonde et porteurs du seul message idoine pour décrire ces soldats perdus dans l'enfer de la guerre, loin de chez eux et d'eux-même.
A la fois fresque, à la mise en scène et au casting grandioses, film de guerre simple et terrible, pamphlet philosophique, La Ligne Rouge est aussi et surtout l'œuvre totale d'un vrai auteur, d'un esthète. Un film grandiose d'une puissance rare. Une œuvre définitive sur le sujet et nécessaire.