Avec son deuxième film, Jan Kounen explore un univers qui le hante et qu'il connait en partie puisqu’il a lui-même rencontré les Schipibo-conibos d'Amazonie avec lesquels il a évolué au seine d'une nature sauvage dont les « esprits » communiquent avec les chamanes qui sont en fait des hommes-médecines pour faire simple. Vincent Cassel a aussi posé le pied là-bas et pénétré d' « autres mondes ». Faire un film est certes moins judicieux qu'un documentaire (que Kounen fera par la suite avec Other worls dans lequel il n'a pas pu s'empêcher de remettre des séquences CGI de visions) mais le long-métrage qu'il livre au public est surprenant à plusieurs niveaux : d'une part parce que Kounen prouve encore son talent de metteur en scène ensuite parce que visuellement, Blueberry est vraiment magnifique, bourrés d'idées de mises en scènes, de montages et d'ellipses transitives sensitives et spirituelles qui permettent à son créateur de valider un parcours qui se veut actuellement très éclectique et dont la qualité est indiscutable mais qui peut refroidir certains spectateurs décontenancés par le concept de ses œuvres.
L'extrême violence et la mise en scène nerveuse, presque clipesque et épileptique et trash de Doberman, l'ovni 99F bien barré (son chef d’œuvre), et Coco et Igor Stravinsky classe et contemplatif mais très froid et un peu désincarné, puis , juste avant, son western atypique mais finalement pas aussi hermétique qu'on l'entend dire un peu partout. Au contraire, le film n'est pas « lent » à proprement parler et la photographie, l'univers western bien retranscrit, le scénario assez basique et les personnages clichés du genre sont bien présents et malgré le traitement de l’ensemble plutôt loin de renouveler ou transcender le genre , c'est par ce fond que Kounen satisfait les moins exigeants et les amènent petit à petit vers la grosse nouveauté du film : le chamanisme et le monde des visions dont le peyotl est l'outil (psychotrope qui ne créé pas de dépendance physique et ne détruit aucun tissu cérébral mais « éveil » une partie du cerveau).
Le cinéaste décide de réaliser une adaptation de la bande-dessinée de Giraud dont il trahit totalement l’univers et l'esprit (on se demande si le choix du titre n'est pas purement commercial) mais l’auteur lui-même approuve ce revirement dans ce que les Occidentaux appelleraient le fantastique alors que pour les Indiens, il s'agirait d'un conte fictif toutefois réaliste sur leur croyance et leur pratique de la médecine (lié aux visions, aux plants et au peytol dont les rituels et les chamanes n'existent que pour connecter peu à peu le patient avec le monde des esprits). Le genre est caressée dans le sens du poil au niveau de l'intrigue pure et c'est pas mal de redite qu'on trouve dans Blueberry (la prostituée et sa relation avec le jeune Blueberry c'est vu et revu et le ton vire vers exactement la même scène ou presque que Dead Man (qui parlait lui aussi d'une quête initiatique et d'un jeune débarquant au Far West et dont la vie prend une dimension spirituel poétique : il reprend même le plan du visage morphing squelette) mais Kounen se permet de jouer avec sa caméra comme rarement on le voit au cinéma : des plans-séquences aériens magnifiques ,des accélérés, des ellipses contemplatives et naturalistes en utilisant des superpositions d'images, des ellipses purement métaphoriques où les paysages et la météo connotent le temps qui coule...
[position=][/Position]Sur les parois géologiques , Kounen se permet une virtuosité à temps plein et le style permet provoque une ivresse cohérente avec le contenu du film qui se penche essentiellement sur le rapport à la Nature omniprésent (des plans d'animaux, de plantes, d'arbres, des mouvements de caméras élégants, l'appareil est toujours en mouvement et Kounen élabore une forme qui épouse les rythmes de l'environnement et de tous ce qui compose les choses ; La physique quantique, le cosmos, le corps, l'esprit...Kounen effleure tout grâce à ces séquences psychédéliques fascinantes : pour peu qu'on soit intéressé par le concept, on se voit vite absorbé par le graphisme de ces scènes très réussies qui permettent aux spectateurs de voir ce qu'ils ne verront probablement jamais d'eux-mêmes. Le voyage est introspectif , cosmique, irréel, jouissif mais aussi effrayant car l’inconnu est ici abordé de manière tellement abstraite qu'on se sent près proche de la mort (d'ailleurs le film montre bien qu'on peut ne pas revenir d'une telle transe). Bien évidemment tout est très fantaisiste sur pleins d'aspects mais , sans expliqué ce qu'il montre, Kounen permet au film d'être très fluide (encore une fois le scénario basique le permet)et toute la narration liée uniquement au montage possède un sens évident (toute une partie du background des personnages n'est effleuré que par l'image).
[Position=][/Position]Non-linéaire mais pas déstructuré ni à l'envers, Blueberry peut passer d'une scène dans le présent à un plan ailleurs, perdu dans la pampa pour revenir à la fin du film et Cassel allongé, sans vie, puis alterner avec un court flashback (souvent superposés) proche de Keoma (l'acteur est filmé dans la même pièce que le flashback : il voit directement ce qu'il a fait, ce qu'il était) etc...(l' »intrigue bateau avec la chasse au trésor du pauvre et l'aventure minable sont prétextes à faire un film dont les seuls éléments qui lui importent sont « à côté »). La caractérisation des personnages laisse à désire et le casting pourtant sympa n'est pas super bien exploité : Seul Madsen s’en sort vachement bien avec son rôle (le meilleur du film) de méchant hors la loi qui défend les arbres sur lesquels on pisse au milieu du désert et qui préfère les animaux aux hommes. il a une relation intime avec le monde animal ce qui permet d’obtenir des scènes tocuhante alors qu'il est sensé être le méchant de l'histoire :
[Position=][/Position]Il cherche avant tout le pouvoir spirituel et l'or que pensent trouver le groupe n'est en fait que le boisson sacré des chamanes. Blueberry est une expérience audiovisuelle sublimée par l’originalité du propos (un mix de western et d'au-delà du réel le tout vu par Kounen, quel énergie et quel rafraichissement!) : le cinéaste s'inspire des écrits de Castaneda et dresse un film un peu bancal qui aurait du aller au bout de son concept afin de vraiment se démarquer et devenir une œuvre concrètement à part. Tous les univers sont exposés et mêlés soit par l'image soit par le sens de l'image et le message du film: le monde animal, le monde végétal, le monde minéral , le monde humain , le monde des esprits, l’univers quantique et le cosmos. Loin de dressé un bilan préventif sur l'usage des psychotropes , Kounen fait de cette plante un "outil" pour ouvrir les portes de la perception "voir" en soit comme jamais afin de se délivrer d'une souffrance ou d’une vérité longtemps reniée.