

La même année que Sept ans au Tibet de Jean-Jacques Annaud, Scorsese sortait le biopic le plus atypique qui soit , celui du 14 ème Dalai Lama. Alors que le film avec Brad Pitt bénéficiait d'un statut bien plus commercial (présence de deux acteurs américains au casting dont une grosse star ; John Williams à la musique, Annaud à la réalisation après deux films cultes (l'Amant et l'Ours) et une scénario facile d'accès, surfant parfois entre l'aventure, une photo très léchée, et une amitié profonde entre deux cultures totalement différentes), le film de Scorsese quant à lui peut se targuer d'être une expérience musicale et narrative par son ambiance épurée pendant la première heure où le peu de dialogues côtoie une non-intrigue loin d'être linéaire à travers laquelle les ellipses se succèdent tout comme les plans platoniques toutefois nécessaires pour lier Kundun avec son statut mystique et ses visions (Scorse n'use d'aucun d'effet de style pour les introduire et c'est le montage qui fait le boulot aidé par Philip Glass et ses thèmes fascinants) . Scorsese s'éloigne de son univers et de ses précédents chef d’œuvres pour tenter de renouer avec une matière qu'il avait délaissé après la Dernière tentation du Christ.


Force est de constater que les deux ovnis du cinéaste ne bénéficient pas d'une inspiration et d'une implication aussi poussée que sur ses films de gangsters et il faut le reconnaitre, les sujets ne luis sont pas personnels. Il le reconnait lui-même dan plusieurs interviews. Dans Kundun on a l'impression d'une trop grande retenue (pour coller avec le bouddhisme ?) émotionnelle et formelle (seul la photo de Deakins l'emporte sur la mise en scène assez statique de l'ensemble). Loin de la virtuosité d'un Casino, des Affranchis ou de Raging Bull, Kundun se veut avant tout film d'ambiance notamment grâce à la sublime et magistrale compo de Philip Glass dont Scorsese utilise les moindres notes à l'excès, envahissant son œuvre en comblant peut-être pour camoufler l’absence d'enjeux concrets et d'identification impossible pour le spectateur (ce qui fait de 7 ans au Tibet loin d'être hermétique). En filigrane, Kundun est aussi un film sur une enfance (encombrée par la montée ne puissance de l'industrie, du communisme, en pleine seconde guerre mondiale puis l'invasion Chinois : le 14 ème dalai-lama vit à une époque sombre) hors du commun d'un homme devenu le pendant Tibétain de Gandhi.


Le scénario épuré au possible est tout de même passionnant si l'on est au départ attiré par la culture Tibétaine et par ce qui lui est arrivée mais le film a du mal à exposer clairement ses intentions tant ce qui nous est montré n'est jamais approfondit et expliqué. On voit un nombre incalculables de rituels et de sacrements dont le sens spirituel est abscons pour les non-initiés. on peut y voir le regard ignorant de Scorsese qui se place donc lui-même comme spectateur face à une culture et une philosophie qu'il met en scène avec un style qui ne lui est pas propre mais qui permet au long-métrage de se démarquer des films du genre par un hypnotisme exacerbée et quelques atmosphères oniriques pertinentes et poétiques. Le film est avant tout raconté par l'image plutôt que des dialogues et le montage prend une dimension spirituelle indéniable surtout quand il s'agit de "connecter" le monde perdu des Tibétains et le monde extérieur : le background est finalement très peu développé, l’histoire ne se concentre que sur Kundun et on ne voit pas réellement le peuple Tibétain et son quotidien (chose que parviens à faire le film d'Annaud).


Scorsese iconise , sacralise et déifie beaucoup Kundun en insistant sur ce qui le relie à des hommes, les animaux, les paysages,et son rapport au à la vie grâce à des nombreux ralentis discrets, des scènes montées avec grâce et une utilisation exacerbée d’instruments distillant de suite dans nos esprits une importance capitale pour l'avenir du pays .L'invasion chinoise est survolée, transparente et suggéré plus qu'autre chose grâce à quelques plans et des bribes de discours radiophoniques. Scorsese a embrassé l'évènement historique vu au travers le jeune Dalai-Lama dont l’évolution est le point fort du film (on le voit tout petit, enfant, ado et jeune adulte et chaque étape l'éveille, le rend plus alerte, plus cultivé et plus responsable). Le casting est composé de 95% d'inconnus (et très convaincants) et quelques acteurs vu dans quelques films et c'est là que Scorsese assure : il laisse tout le poids de son œuvre reposer sur une ensemble totalement dépaysant où le public ne reconnait rien, ne comprend rien et n'identifie personne.


Osé et anti-commercial, le cinéaste prend des risques, tente un changement et livre un quasi chef d’œuvre d'une richesse thématique incroyable et d'une spiritualité débordante où les conventions sont écartées au profit d'une recherche artistique évidente où l'inspiration renfloue l'hermétisme qu'y verront certains . Tantôt abstrait tantôt bancal (la première heure est magistrale alors qu’une grosse partie de la seconde ne traite que du rapport Chine / Tibet et là le scénario n'arrive pas à suivre, à relancer l'intérêt ou à instaurer des vrais enjeux universel auxquels on pourrait ressentir de l’empathie : Le metteur en scène a certainement se concentrer uniquement sur l’atmosphère hors du temps et du monde. Quand le cadre s'éprend de l’essence même de la culture Tibétaine, c'est tout un art sensitif qui interpelle en lieu et place d’explications types documentaires qui auraient bel et bien plombés le film.


Atypique dans le genre (Himalaya c'est bien trop typé documentaire) et incroyablement novateur, Kundun est un sacré film d'un des meilleurs réalisateurs qui soient même si , dans sa filmo, The last temptation of the Christ et celui-ci sont deux paris osés, risqués, bancals mais impériaux. Du jamais vu sur de tels sujets (encore que le film sur le christ c'est plus traditionnel en terme de narration). Universel, sacré, humaniste, pacifique, ode à l'amour de tous les êtres vivants et du changement paisible sans jamais tomber dans le pathos et la niaiserie (le jeune dalai-lama reconnait lui-même que la voie de la non-violence est difficile et que lui-même s'efforce" de faire le bien. Ce n'est donc pas un don mais un effort. Le peuple est en retrait mais on comprend que celui-ci serait apte et pour le combat, la révolte ce que le dalai-lama s'interdit afin d'être conséquent avec ses convictions et croyances., lui qui désirait accepter le changement proposé par la Chine mais pas de manière radicale et subordonnée ).

Comme de nombreux plans du film métaphoriques, celui est magistral, travelling en forte plongée sur Kundun qui contemple des milliers de corps de moins tibétains qui l'entourent...Cela renvoi à son don de visions mais surtout à un sentiment de culpabilité suite à sa fuite. La couleur rouge est omniprésente durant tout le film (c'est le seul élément qui rappelle une des signatures du cinéaste) et le bleu s'expose littéralement sur les extérieurs avec le ciel qui prédomine sur les hommes (le bleu signifie la libération" et la transcendance tandis que le rouge parle de lui-même).
La découverte de Kundun par Reting Rinpoché et les 20 premières minutes du film sont d'une puissance surnaturelle magnétique qui laisse pantois :
Le découpage est sobre et rappelle "Baraka" de Ron Frickle à bien des égards. C'est très évocateur (le cheminement onirique nous emmène du point de départ c'est à dire l’homme qui a les visions et puis on passe par des montagnes et un lac, on survole l'eau, on découvre des bâtisses et un enfant) et le ralentit du gamin qui sort de la maison en courant confère , en plus de la compo de Glass, une stature hypnotique. tout le film est pratiquement conté de cette façon et le film se déverse en nous comme une prière bouddhique.
Le don de visions peut devenir fardeau quand celui-ci ne filtre pas les cruautés et massacres ou métaphores d'une mort inéluctable comme vers la fin du film où Kundun dit au revoir à ceux qui l'ont protégés et accompagnés dans sa fuite vers l'Inde : il les regarde et voit des cavaliers morts sur leurs chevaux...