Le Wu Xu Pian , « fantasy » asiatique et souvent gros mélange de tons mêlé à une virtuosité incroyable provenant essentiellement des courses dans les airs, les combats aériens qui sonnent presque comme des danses martiales, les costumes majestueux dont la beauté vient nourrir un genre déjà très graphique, très coloré et virtuose où l'intrigue mêle la fiction avec l'historique et le fantastique / folklore de l'Asie et sa mythologie propre.Premier Tsui Hark que je découvre et mes yeux de cinéphiles en ont pris pleins les yeux. J'avais déjà abordé le genre avec « The Storm riders » d'Andrew Lau et le style m'avait déjà littéralement impressionné : le combat dans la forêt de bambou (lieu inhérent au genre et à la culture nippone tout comme les rondis de bois sur lesquels les combattants s’affrontent), les plans aériens et cgi des temples, les voltiges etc...) et Tigre et Dragon (poétique et romantique) ou encore Hero , assez fade. Le fétichisme des armes est bien présent et Dee bichonne la sienne avec laquelle il tient en respect ses ennemis et par laquelle il honore ses pactes.
Avec Detective Dee, je découvre un Tsui Hark très inspiré et toute la beauté inhérente au Wu Xu Pian sublimée ici par une photographie à tomber et une recherche artistique encore une fois impériale et poétique (on ne se lasse pas des plans de nuit de cerisiers alignés dont les feuilles tombent lentement en virevoltant près des personnages, les décors majestueux qui bouffent littéralement l'écran, les couleurs chatoyantes des moindres vêtements, des parures de l'Impératrice ou des compositions de plans magnifié par un scope bel et bien exploité comme il le faut ).On pourrait trouver que les effets spéciaux du film sont assez inégaux mais face à l'ampleur lyrique et épique du récit et de la mise en scène ceux-ci passent finalement très bien: les plans CGI ne s'éternisent pas . Très pictural et très formel, Hark offre un ensemble léché, que les yeux pardonnent vite ces détails visuels , mais le cinéaste abuse néanmoins lorsqu'il met en place un petit combat contre des daims (WTF?!) dont la première apparition passait plutôt bien .
Le reste charme le spectateur par une incroyable envolée au cœur d'une pure intrigue policière/enquête/whodunit mêlée à du grand spectacle et une grandeur égale aux plus grosses productions blockbusters tenus par des réalisateurs « auteurs » comme Peter Jackson (spécial mention au plan de la carte et lors de l'entrée au marché fantôme : le plan avec les petits personnages très éloignés qui pénétrant dans la falaise avec des ponts lointain qui relient les deux parois on se croirait dans le Khazad-Dum du Seigneur des Anneaux) ou Spielberg et Del toro (dont on sent une possible influence sur Detective Dee pour le générique et les engrenages , la musique et la scène du marché fantôme où Hark insère lui-aussi une scène de combat). Fumée atmosphérique léchant le sol et la surface de l'eau, ambiance surnaturelle, combat frénétique. C'est avec dextérité que Tsui Hark impose un savoir-faire magique et habile où l'imagerie spectaculaire donne lieu à de douces folies.
Hark met en scène une scénario haletant et passionnant où, loin de ne se contente que de divertir, Detective Dee instaure une base solide et lucide sur un thème engagé et universel : la révolution, le renversement d'un système par un autre. En cela, le film se caractérise surtout par des protagonistes haut en couleurs subtilement écrits dont les rares apparitions et dialogues de certains possèdent tout de même une puissance émotionnelle poignante (le dialogue final entre l'Impératrice et Dee) . Sans rien spoiler , le « coupable « du film bénéficie d'un bon traitement, loin d'être manichéen et on peut même dire qu c'est un des meilleurs personnages du film, une des meilleures interprétations du film aussi (Tony Leung Ka-fai) tandis que Andy Lau en impose toujours par son charisme. Dee est un juge à qui rien n'échappe (le Sherlock Holmes de la Chine qui a vraiment existé) et dont le background révolutionnaire et professionnel demeure obscur.
Le fond politique et historique n'a d'égal que le désenchantement que le film immisce dan le cœur du public : une histoire d'amour impossible, Dee la voit même mourir tout comme il affronte un de ses anciens amis et le regarde mourir, tous les proches succombent par un feu qui les consument de l’intérieur, métaphore subtil du désir de vengeance qui anéantit la raison car Dee ne trahit finalement pas les valeurs qu'ils prônent, au contraire, ils les protègent en comprenant que se révolter n'amène que de nouveaux massacres . Loin d'être fataliste, le film s'engage dans la renonciation à la guerre.
La relation entre les personnages (surtout le trio formé avec Chao Deng et Li Bingbing) reste attachante sans être transcendante et très mise en avant : l'aventure les guident et par des non-dit on comprend l'amour impossible entre Dee et Jing.
La partie au marché fantôme fait largement penser à des films comme Conan ou la fantasy de chez nous où des compagnons font route vers des lieux étranges et obscures afin de combattre le mal et mener une quête : l’univers de Dee n'échappe pas à une approche fantastique intelligente où les yeux croient voir surgir des démons ou des mages alors que tout n'est qu’illusion, jeu de décors de costumes et d'effets sonores (même le daim qui parle n'est qu'un tour de passe-passe ventriloque) ; le film possède finalement peu de rebondissements mais les rares présents sont superbement amenés, avec grâce et les motivations des protagonistes ne sont jamais ni toutes noires ni toutes blanches.
En fait, il faut bien le souligner parce que le film ne possède pas de « méchant ». On aurait pu croire que l'Impératrice serait cette icône puis on soupçonne Dee lui-même d'être un traite (ce qu'il est peut-être dans le fond ) . Hark signe certes un film commercial grand public et accessible mais le fond reste complexe et politique en sous couvert d'un spectacle plaisant. Le plaisir cinéphile par excellence (la richesse cinématographique,n le plaisir des yeux, des plans jamais vus, des décors magistraux : l'intérieur du Bouddha c'est hallucinant tout comme l'apothéose cataclysmique qui résonne encore dans nos oreilles lors de la chute de l'immense statut : les effets sonores du film ont à tomber), film de genre virtuose où les personnages peuvent mourir d'un instant à l'autre (ci tout le monde meurt sauf la suzeraine et Dee qui finit au fond du gouffre, près du marché fantôme, empoisonné et contraint à la solitude..). Jouissif et bien plus couillu que ce qu'on nous sert outre-Atlantique dont l'influence est ici flagrante.
Plan final hommage au Conan de Milius