Après un premier court-métrage de 15 minutes sur les jeunes filles de banlieue réalisé dans le cadre d’un concours, on a proposé à la jeune réalisatrice d’en faire un long-métrage en s’intéressant aussi point de vue des garçons. A seulement 23 ans et sans aucune formation,
Audrey Estrougo se retrouve donc à réécrire son scénario pour en faire un film d’1h30 qui deviendra
Regarde-moi.
Découpant son film en 2 parties distinctes, la réalisatrice confectionne un puzzle dont les pièces s’imbriqueront petit à petit. Dans un premier temps, elle s’intéresse au point de vue des garçons en suivant Jo, jeune homme promis à une grande carrière de footballeur sur le point de quitter la cité et son meilleur ami Yannick qui vit de petit trafics en tout genre et qui surprotège sa petite sœur qui a tendance à allumer ses potes. Quant à Mouss, il se la joue racaille mais il semble être amoureux. Puis dans un second temps, elle s’occupe du point de vue féminin. Cette fois-ci, c’est Julie qu’on va suivre. Vivant avec son père alcoolique, elle a une relation amoureuse secrète avec Jo. Elle est différente de ses 2 copines Eloïse et Daphné qui jouent les « poufs ». Enfin, Fatima, une jeune black, fait tout pour se faire remarquer au détriment de son frère Mouss.
![Image](http://img8.imageshack.us/img8/1929/28217764.jpg)
La réalisatrice opte donc pour une structure répétitive : la première moitié du film nous raconte cette journée sous le point de vue des garçons en laissant volontairement des trous dans le récit. Puis la seconde partie du film reprend l’histoire depuis le début sous le point de vue des filles. Le concept est franchement bien géré et on ne s’y perd à aucun moment. De plus, la réalisatrice évite assez bien la répétition des scènes. Seules les scènes les plus charnières sont revues sous les 2 angles. Cette narration est une très bonne idée puisqu’à travers elle se dessine un message : les vies des garçons et des filles sont étroitement liées et les uns sans les autres, elles n’auraient pas réellement de sens.
Dans l’écriture des dialogues, on sent clairement qu’
Audrey Estrougo a grandi en banlieue. Les répliques sonnent toujours juste et le langage de banlieue est particulièrement bien exploité sans en faire non plus des tonnes. La violence verbale y est bien mise en valeur et on se rend compte à travers ces portraits entrecroisés que les filles sont quand même bien plus méchantes. Les mecs se chambrent méchamment mais ça reste toujours sur le ton de la camaraderie. En revanche, chez les filles, on sent que c’est toujours dans le but de blesser ou de rabaisser l’autre …
![Image](http://img251.imageshack.us/img251/5919/44741720.jpg)
Au-delà du traitement des rapports entre les garçons et les filles, le film traite des tensions entre les différentes communautés. Et on nous montre que les adultes ne donnent pas le bon exemple à travers des conflits de voisinage assez violents. Les relations entre les jeunes filles blanches qui jouent les allumeuses et les jeunes filles de couleurs que leur religion pousse à garder une certaine éthique sont très tendues et elles en arrivent parfois aux mains tant cette tension est omniprésente. Mais cette violence n’est pas gratuite : la réalisatrice nous décrit un microcosme où les jalousies sont souvent à l’origine de ces tensions. Les garçons sont donc indirectement au centre de toutes ces tensions.
Niveau mise en scène, c’est assez surprenant de voir la maîtrise de cette jeune réalisatrice autodidacte. Il est clair qu’on y sent certaines influences mais elle ne s’en cache pas et elles sont de qualité. On a le droit à une scène de monologue face au miroir qui renvoie clairement à
La haine de
Mathieu Kassovitz et donc à
Taxi driver de
Martin Scorsese. Quant à la scène où les personnages s’adressent directement aux spectateurs, ça rappelle
Do the right thing de
Spike Lee. Les cinéastes américains ont l’air d’avoir eu une grosse influence sur sa façon de filmer et ça nous change de tous ces films français qui ont les mises en scène de téléfilm de France 3 ! Son utilisation des travellings est parfaitement maîtrisée et permet de passer facilement d’un personnage à l’autre. Il se dégage une grande fluidité du résultat final.
Enfin, il faut dire que les acteurs s’en sortent vraiment pas mal. Leurs personnages pourraient rapidement tomber dans la caricature des jeunes de banlieue mais ils arrivent à leur donner un véritable fond qui rend le film particulièrement réaliste. Certains acteurs sont néanmoins plus doués que d’autres et la palme revient à
Emilie De Preissac qui est assez bluffante. Elle joue une jeune fille introverti mais arrive à faire passer tout un panel d’émotions par son regard. De plus, le final bien noir met encore mieux en valeur sa composition dramatique. On sent tout de même que la réalisatrice était plus à l’aise avec les filles à qui elle offre des rôles plus contrastés. Pour finir, il faut remarquer que certains personnages sont un peu laissés de côté et on se rend compte en regardant les scènes coupées que la réalisatrice a été obligé de couper certaines scènes au montage pour garder un bon rythme. C’est dommage, il y avait des choses intéressantes.
Au final,
Regarde-moi s’inscrit dans les références des films sur la banlieue des années 2000. Les années 90 ont eu
La haine, les années 2000 ont
Regarde-moi et
L’esquive d’
Abdellatif Kechiche. La réalisatrice a su capter la vie des jeunes en banlieue avec beaucoup de justesse et s’annonce clairement comme une réalisatrice à suivre de près. Même si elle n’a pas totalement confirmé avec son second film, je garde espoir tant elle semble bourrée de talent.