Le Grand Silence de Sergio Corbucci
Attention Spoilers
Le Grand Silence est un western plutôt atypique, tant sur le plan formel que thématique.
A commencer par le décor. Excellente idée que de situer le récit dans un village enneigé, cela amplifie considérablement la sensation d’isolement des personnages, et permet d’exploiter cette particularité au sein même du scénario (Tigrero qui laisse les corps des hors-la-loi abattus dans la neige, ce qui les conserve en bon état en attendant de toucher la prime). On s’apercevra d’ailleurs au fur et a mesure du film que la pureté des décors contraste singulièrement avec la nature profondément macabre du métrage.
Le scénario, sans être révolutionnaire, est d’une efficacité redoutable et joue constamment avec les codes du genre (notamment dans sa deuxième partie, où le bad guy prend clairement le dessus sur le héros). Les deux personnages principaux ainsi que le shérif sont parfaitement caractérisés (les femmes un peu moins mais c’est le genre qui veut ça) et les dialogues (en vf) sont excellents.
Le rôle de Silence, le cavalier solitaire (qui a la particularité de porter un Mauser, arme rarement vu dans les mains d’un héros de western) est interprété par Jean Louis Trintignant.
Sans avoir le charisme d’un Eastwood, il excelle dans un rôle plutôt difficile (il n’a pas une seule ligne de dialogue) et laisse transparaitre dans son jeu une multitude d’émotions. A ce titre, la scène d’amour en milieu de métrage est une petite merveille.
Klaus Kinski interprète Tigrero, un chasseur de primes aussi loquace que machiavélique, qui peut passer en un clignement de paupière du mec plutôt rigolard au monstre cruel.
Il est la parfaite antithèse du héros, qui lui est totalement introverti à cause de son mutisme.
Un personnage haut en couleurs qui a du légèrement inspiré Tarantino pour son colonel Hans Landa (et second clin d’œil : dans IB, le personnage d’Aldo Raine a exactement la même cicatrice que Silence).
Le reste du casting s’en sort plutôt bien, notamment l’excellent Frank Wolff dans le rôle du shérif.
La mise en scène, sans atteindre le niveau stratosphérique d’un Léone ou d’un Peckinpah, est très efficace. Les gunfights sont bien gérés, les scènes plus poétiques (comme la scène d’amour) ou contemplatives sont superbes et toujours magnifiées par le score envoûtant de Morricone. Les scènes dialoguées, notamment les échanges entre Tigrero et le shérif, sont un régal pour les amateurs de bons mots. Elles représentent d’ailleurs les seuls moments "drôles" du film, qui ne tardera pas à basculer dans un summum de nihilisme.
Car s’il y a bien un point surprenant dans ce film, c’est sa fin. D’une noirceur et d’un courage de la part du réalisateur quasi jamais vu dans le genre (d’ailleurs, Corbucci a été obligé à l’époque de tourner une autre fin, optimiste, mais il l’a tellement aseptisé que le studio n’en a pas voulu), elle est d’une parfaite cohérence avec le propos du film : il n’y a pas de place pour les héros, seul les plus forts s’en sortent.
Les seuls personnages ayant un semblant de morale finiront tous par mourir, alors que les plus fourbes et cupides partiront les poches pleines. Une belle métaphore du monde moderne.
Le Grand Silence est un somptueux western, surprenant, dur et touchant, qui représente une époque révolu où le cinéma était avant tout un art, et non pas un produit soumis à la rentabilité et aux projections tests.
Un Grand Film !
9,5/10