Écrire une critique de
The Matrix est un véritable défi tant ce film est, pour moi, un sommet à tout les niveaux. Difficile donc de rester objectif, le film des Wachowski est l'un des rares que je serait capable de regarder des dizaines de fois d'affilée sans jamais m'ennuyer.
The Matrix est d'une certaine façon mon fantasme cinéphilique ultime réalisé : le film d'action qui peut se hisser à la hauteur des plus grandes œuvres littéraires, musicales et cinématographiques de ce monde. Le film d'action qui mettrait tout le monde (ou au moins une très grande majorité) d'accord sur la qualité de son fond et de sa forme. Le film d'action qui peut trouver un sens totalement différent selon le spectateur qui le regarde. Loin d'être un fan de la première heure, j'ai appris a apprécier le film à sa juste valeur au fil des visions, m'intéressant de plus en plus à ses références (avouées ou cachées), jusqu'au point où je considère véritablement
The Matrix comme un film que l'on ne pourra jamais analyser réellement jusqu'au bout à cause d'une richesse inouïe en ce qui concerne son propos, un propos qui trouvera un sens différent chez certains spectateurs, un propos subjectif donc, mais qui fait la réelle force de l'oeuvre. Dans ce sens, on peut parler de
The Matrix comme un film labyrinthique fluide et réfléchi et ce, bien au contraire de nombreux films cherchant à être le plus tortueux possible pour paraître intelligent au yeux d'une certaine élite cinéphilique.
Pourtant, on peut vraiment se demander comment une telle idée filmique peut parvenir à germer dans l'esprit de deux frères nés dans les années 60 dans une famille tout ce qu'il y a de plus normale. Car lorsque l'on s'attarde un tant soit peu sur la profondeur d'un scénario comme
The Matrix, on ne peut que se persuader de l'immense ouverture d'esprit que doivent avoir les frères Wachowski en terme de culture générale. Car le plus surprenant n'est même pas d'y trouver des références filmiques (
The Wizard of Oz, le cinéma d'action asiatique dans son ensemble) et vidéoludiques (
The Matrix est à ce niveau là l'illustre successeur d'un film comme
Tron) mais bien de retrouver ces mêmes références au sein d'un déluge d'inspirations aussi bien philosophiques (Nietzsche, Platon, Baudrillard, etc...) que purement littéraires (Lewis Carrol pour citer le plus évident, dont la séquence du miroir fait irrémédiablement écho).
Du coup, le film des Wachowski est une œuvre dont la compréhension totale ne doit jamais être considérée comme acquise tant la moindre scène, le moindre plan, le moindre dialogue peut avoir des sens cachés que les suites, admirables, ne feront qu'amplifier et feront atteindre à la trilogie une puissance spirituelle jamais vue au cinéma.
Plus de dix ans après sa sortie,
The Matrix conserve toujours autant l'impact qu'il provoquait à sa sortie et ce, grâce à un scénario exemplaire entre science-fiction (une influence
Blade Runner sur l'univers qui sera bien plus visible dans les courts-métrages
Animatrix), action et quête initiatique. L'univers est d'autant plus crédible que le film ne montre pas certains endroits ou évènements : ainsi, la guerre entre les hommes et les machines ne sera que décrite partiellement et la ville de Zion, dernier bastion de l'humanité, ne sera que citée au détours d'un dialogue. Deux raisons à cela : un budget confortable mais toutefois assez faible vu l'ampleur du film (70 millions, la faute à une Warner assez réticente sur la possibilité d'un succès et qui pariait davantage sur son
Lethal Weapon 3) mais aussi parce que les Wachowski ont toujours pensé
The Matrix comme une trilogie cinématographique après avoir abandonné le projet d'une série de comics. Il faut savoir d'ailleurs que la Warner avait prévu un plan de secours en cas d'échec du film : une sortie rapide de la VHS et du DVD pour rentabiliser pour ensuite tourner les suites sous forme de DTV. Une anecdote qui prête largement à sourire tant
The Matrix est désormais devenu un phénomène mondial, une sorte de patrimoine culturel au même titre que la saga
Star Wars. Bien sur, le succès du film est loin d'être un heureux hasard puisque
The Matrix est une œuvre qui peut s'adresser à n'importe quel spectateur de n'importe quel nationalité. Mélangeant habilement la culture occidentale avec la culture orientale,
The Matrix est un véritable film melting-pot à échelle planétaire qui ne tombe jamais dans la surenchère d'influences : l'univers fonctionne aisément sans que l'on ait l'impression à chaque instant de reconnaître telle ou telle influence culturelle. L'exemple le plus frappant étant les noms des personnages qui n'est jamais choisi au hasard : Neo (Noé, sauveur de l'humanité d'une catastrophe à venir), Morpheus (Morphée, dieu grec des songes), Trinity (Trinité chrétienne), le duo Choi et Dujour (Choix du jour) ou encore Louis Cypher (Lucifer).
Bien sur, un tel scénario, aussi bon soit-il, ne serait qu'une vaine tentative originale si la mise en scène ne pouvait permettre de mettre en valeur un tel potentiel. Mais les Wachowski, en plus d'être des scénaristes hors-pairs sont aussi des génies cinématographiques où la mise en scène devient un art à part entière. Que ce soit lors de scènes de dialogues habilement réalisées (la première rencontre entre Neo et Morpheus est un moment désormais devenu culte avec une recherche approfondie du champ/contre-champ et du gros plan qui sera réutilisée pour la suite de la trilogie)
ou lors de scènes d'action dantesques (le crash de l'hélicoptère, séquence qui intègre véritablement le spectateur au centre de l'action)
les Wachowski prouvent que la réussite de
Bound était loin d'être un coup de chance et qu'ils n'ont absolument rien à envier à qui que ce soit en terme de lecture de la mise en scène. Avec ce deuxième film, les frangins confirment leur amour pour les cadres travaillés, des travellings fluides, des contre-plongées iconiques et des plongées zénithales qui renforcent la lisibilité de l'action. Bien entendu, une marque
Matrix est aussi mise en pratique avec une utilisation astucieuse des CGI ou encore, et surtout, avec l'utilisation de l'effet Bullet-Time, un effet inventé par Michel Gondry deux ans auparavant mais que les Wachowski arriveront à magnifier à tel point que toutes les personnes tentant de s'y essayer ont véritablement souffert de la comparaison, devenant de nos jours plus un gimmick poussif qu'un véritable effet de mise en scène.
La mise en scène des Wachowski est aussi parsemée d'influences aussi variées que le cinéma de Ford et Leone (la tension palpable avant le duel final dans la station de métro est digne des meilleurs westerns et même la composition musicale souligne l'influence à ce moment précis)
le cinéma américain des années 40-50 (la photographie atypique de Bill Pope faisant fortement référence à celle des films noir les plus stylisés, notamment durant l'introduction nocturne du film)
le cinéma d'action HK (la fusillade dans le lobby est clairement influencée par les gunfights des films de Woo, notamment
The Killer et
Hard Boiled où on y retrouve la même volonté de proposer du spectacle visuellement grandiose via l'étirement cinématographique du temps, cela donne une séquence puissante qui marquera nombre de cinéphiles)
ou encore les films de la Shaw via la scène d'entraînement au kung-fu, véritable déclaration d'amour à tout un pan du cinéma asiatique.
La mise en scène des Wachowski est d'une maturité réellement étonnante pour un second long-métrage. C'est bien simple,
The Matrix est tout simplement un film parfait en terme de mise en scène, aussi travaillé sur les scènes de dialogues que sur les séquences d'action. A ce jour encore, le film reste clairement le meilleur travail de ses auteurs sur le plan de la réalisation, les Wachowski décidant de multiplier les idées de cinéma à chaque séquence, en témoigne l'introduction du film qui dispose d'une variété de plans pour le moins étonnante, avec notamment une utilisation subtile de la courte focale.
chaque placement de caméra et durée de plan est pensée pour le bon fonctionnement de la scène en question. Aucun défaut de construction d'une scène en particulier, on atteint là une certaine perfection de la forme cinématographique que le travail des chorégraphies ne fait que renforcer. Grandiose.
C'est aussi dans
The Matrix que Keanu Reeves, acteur désespérément peu crédible dans la plupart des rôles de sa carrière, fait sa meilleure prestation. Aucun doute que les Wachowski sont aussi talentueux pour la direction d'acteur. D'autant que c'est aussi une consécration pour des acteurs comme Laurence Fishburne (plus classe que jamais avec ses lunettes et son manteau de cuir), Carrie Ann-Moss (son meilleur rôle à ce jour), Joe Pantoliano (à quand un premier rôle ?) et surtout Hugo Weaving dans le rôle de l'Agent Smith, bad guy machiavélique, invincible, complexe, jouissif et désormais totalement culte. Une galerie de nombreux personnages diversifiés et travaillés, il est rare de voir un univers aussi crédible et où chaque protagoniste apporte une touche différente pour le faire fonctionner. Quand à la bande-son, les Wachowski retrouve le (trop rare) compositeur Don Davis pour une composition alternant entre rythmes technos et envolées lyriques qui collent parfaitement à l'ambiance générale du métrage.
The Matrix a aussi bénéficié de l'apport de certains artistes comme Rammstein, Marilyn Manson et surtout Rage Against The Machine (dont le morceau
Wake Up donne une pêche affolante durant les dernières secondes du film), des participations toujours de bon goût qui ne plombent jamais l'atmosphère installée, c'est assez rare pour être souligné convenablement.
Avec
The Matrix, les Wachowski signent non seulement leur meilleur film à ce jour mais inventent aussi l'un des univers les plus fascinants jamais créés pour une œuvre cinématographique. Un film de science-fiction aussi important pour le cinéma que
Blade Runner,
2001 A Space Odyssey,
Alien ou encore
Star Wars.
The Matrix est un film dense, complexe et qui suscite un intérêt nouveau à chaque vision. Merci aux frères Wachowski pour cette expérience cinématographique qui restera à jamais comme l'une des plus belles que j'ai pu vivre dans ma vie, avec un plaisir qui se renouvelle à chaque vision. Masterpiece ultime.