Il Etait une Fois dans l'OuestSergio Leone Il était une Fois dans l’Ouest fait partie de cette poignée de films qui traversent les âges sans prendre la moindre ride, qu’on peut revoir encore et encore sans jamais s’en lasser, et ceci malgré une durée flirtant avec les 3 heures et une scène d’introduction qui peut rapidement rebuter les amateurs de films surexcités. Concrètement, et avant même d’entrer dans les détails, le chef d’oeuvre de Sergio Leone est un film tellement parfait sur tous les points, tellement ultime, qu’il rend n’importe quel autre film fade et sans saveur. Sans tomber dans la nostalgie ou le conservatisme, il est clair qu’en perdant Sergio Leone le cinéma a perdu une de ses fondations, et il était une Fois dans l’Ouest en est la preuve éclatante, un concentré de génie visuel et narratif à chaque seconde. Il faut garder également en mémoire qu’il s’agissait là de son cinquième film seulement (sur 7, officiellement) mais c’est une oeuvre qui transpire tant la maitrise de l’art cinématographique et la maturité qu’elle semble venir d’un vieux maitre ayant plus de 100 films au compteur. Après une trilogie des dollars exceptionnelle, Leone écrivait le chant du cygne du western, éblouissant!
Il suffit d’une seule scène au réalisateur pour nous faire comprendre ses ambitions. Une scène d’introduction peu bavarde qui frôle les 15 minutes et un modèle de mise en scène qui inspirera les plus grands réalisateurs de westerns ou de polars (il est évident par exemple que Johnnie To a hérité sa gestion des silences et sa forme de dilatation du temps de Leone!). Cette intro est essentielle car non seulement le réalisateur y pose les bases de la mythologie de son film mais surtout car en faisant abattre les 3 hommes de main il dit adieu au western spaghetti qu’il a quasiment crée. En effet, ces 3 personnages devaient à l’origine être interprétés par Lee Van Cleef, Eli Wallach et Clint Eastwood, les trois acteurs de le Bon, la Brute et le Truand tourné deux ans plus tôt et qui clôturait la première trilogie. On comprend le message, en les faisant mourir tous les 3 il tourne une page importante dans son oeuvre. Car malgré les apparences, malgré la présence indiscutables de tous les codes du genre, Il était une Fois dans l’Ouest n’a rien d’un western!
On pourrait tout au plus le rapprocher des westerns crépusculaires de Peckinpah pour un thème central en commun, la fin d’une époque et le crépuscule des hommes, mais leur façon d’aborder le sujet s’avère diamétralement opposée. Dans Il était une Fois dans l’Ouest, tout gravite autour d’un élément aussi anodin que révolutionnaire, l’arrivée du chemin de fer. Cette évolution technologique et son arrivée sur le sol américain est tout un symbole, plusieurs même. C’est tout d’abord un peuple qui prend conscience de l’étendue de son territoire car il pourra se déplacer d’un bout à l’autre du continent. C’est également le symbole de la conquête de l’ouest puis de la ruée vers l’or, soit une urbanisation massive et le pouvoir grandissant de l’argent qu’a toujours dénoncé Sergio Leone qui y voyait le mal incarné. Mais c’est aussi et surtout un symbole de modernité, une avancée qui signe la disparition d’une race d’hommes, ceux qui parlent avec leur flingue. Ainsi, Harmonica, Cheyenne et Frank représentent les 3 facettes d’une vision de l’homme depuis disparue.
Cette modernité est également représentée à travers le personnage de Jill McBain, première femme forte dans l’univers de Leone. Il faut se rappeler qu’on est à la fin des années 60 et que le mouvement féministe prend de l’ampleur aux USA. Si le grand Sergio n’en est pas arrivé au stade de la parité, le personnage de Jill restant une putain qu’on somme de faire le café, il fait tout de même l’effort de créer un personnage qui n’est plus juste un objet pour les hommes mais bien un personnage à part entière conscient de ses atouts et qui sait s’en servir. Et c’est presque une première dans le genre! Si elle représente une fenêtre ouverte sur l’avenir des états unis, autour d’elle gravite une constellation de personnages masculins, exclusivement. Harmonica tout d’abord, variation autour de l’homme sans nom. Personnage ultra symbolique entre les morts et les vivants, mystérieux et taciturne, efficace et réfléchi, il est le porteur d’un lourd passé et l’image même de la vengeance. Ensuite Frank, incarnation du mal absolu derrière un visage d’ange, image de la corruption par l’argent et le pouvoir. Et enfin Cheyenne, électron libre et bandit de grand chemin qui n’obéit qu’à ses propres principes. Ce trio rappelle évidemment celui du film précédent, mais poussé à l’extrême dans le symbole.
Les drames et les morts sont légion, obligatoirement étant donné qu’il s’agit d’une illustration de l’extinction de ces hommes de l’ouest. La mort elle même pèse d’ailleurs d’un poids non négligeable sur l’ensemble du film qui peut être vu comme une sorte de requiem symphonique. À l’image de tous les personnages secondaires qui représentent chacun une valeur, l’ambition pour Brett McBain, la puissance financière pour Morton ou la sagesse et le recul pour Sam, l’ensemble tourne à la tragédie mais bizarrement, et à l’inverse du cinéma de Peckinpah justement, on ne ressent pas de message pessimiste. Une époque s’achève, les personnages qui l’incarnaient meurent, mais leur disparition sert de base fondamentale à un futur qui s’annonce radieux. Leone, s’il signe une oeuvre pleine de mélancolie, de nostalgie, ne fait jamais le procès du modernisme. Au contraire il l’accepte et le final témoigne d’un futur plutôt radieux, comme nettoyé d’une certaine forme de gangrène.
On l’aura compris, sur le fond Il était une Fois dans l’Ouest regorge de thématiques et de niveaux de lecture qui en font un film à part et essentiel, loin d’être un simple western. Mais s’il a si bien vieilli, gagnant en maturité à chaque vision et analyse, c’est qu’il est également techniquement parfait. Avec son alternance magique de plans larges contemplatifs d’une durée qui frise parfois la démence et ses gros plans si spécifiques sur des regards, Sergio Leone livre ce qui s’apparente à une véritable démonstration de mise en scène. Et cela à tel point que le film est aujourd’hui un modèle, certains mouvements étant repris à l’identique dans des productions récentes. Des cadrages inédits, des travelings magnifiques ou ces mouvements de caméra circulaires assez incroyables comme celui qui dévoile le visage de Frank pour la première fois, tout y est simplement parfait, millimétré et justement dosé. Leone prend son temps et déploie une ingéniosité complètement folle, le résultat est magnifique.
Il faut dire qu’il s’est entouré d’une sélection de talents qui ne pouvaient qu’accoucher d’un chef d’oeuvre ultime! Au scénario on trouve tout de même les immenses Dario Argento et Bernardo Bertolucci qui signent leur plus beau script. Il retrouve pour la bande son celui qu’on peut considérer comme le plus grand compositeur de BO du monde, Ennio Morricone qui réussit à surpasser la merveille qu’il avait déjà livré 2 ans plus tôt sur le Bon, la Brute et le Truand, composant pour l’occasion parmi les thèmes les plus connus de l’histoire du cinéma! Et puis quel casting! Claudia Cardinale qui nous hypnotise par sa beauté à chaque regard, Jason Robards presque touchant par sa nonchalance et son naturel, Henry Fonda dans un rôle à contre emploi qui incarne une figure du mal absolu juste terrifiante et bien sur l’immense Charles Bronson dans un rôle quasiment central qui n’a jamais été aussi magnétique, aussi puissant, dont chaque rare phrase fait aussi mal qu’une balle de revolver. Tout était réuni, et le résultat est à la hauteur des espérances et même plus. Il y a tellement de matière à analyse qu’on pourrait y passer des jours mais s’il y a bien une chose qu’il faut garder en tête c’est qu’Il était une Fois dans l’Ouest fait partie des plus grands films jamais réalisés et qu’il ne vieillira jamais.
10/10