LA GUERRE DES MONDES
Spielberg surprend encore les cinéphiles en offrant une mise en scène totalement atypique dans sa filmographie. Le film bénéficie d'un ton très pessimiste, grave et sombre et c'est une nouvelle facette du cinéaste à laquelle nous faisons face.
Certainement le film le plus sombre du réalisateur de Jaws, La Guerre des mondes est un chef d'oeuvre de la science-fiction littéraire qui se devait de "vivre" sur grand écran dans une nouvelle version bénéficiant des moyens financiers et technologiques actuels. Caméra à l'épaule, grain permanent; gris omniprésent, couleurs délavées, plans inventifs et atypiques -concernant en tout cas le Spielberg "académique"- ton très adulte, un traitement réaliste , le réalisateur est au plus proche des ses personnages.
Encore une fois les héros sont de simples personnes, américains moyens à la vie familiale torturée, dont le quotidien est bouleversé.
Comme d'habitude chez ce cinéaste la relation père/fils est désillusionnée; le père (Tom Cruise) est "absent" pour ses enfants, il les connait finalement très peu et s'en occupe mal. Très concentré sur sa petite vie , " Ray" voit sa routine chamboulée par l'arrivée au foyer de ses gamins et l'arrivée des extra-terrestres. Finalement tout cela le mènera à devenir un héros malgré lui, et même un tueur malgré lui (la mort hors-champ et suggérée de Tim Robbins). Tout pour protéger ses enfants , ce film est surtout le parcours initiatique d'un père immature et peu présent.
Face aux perosnnages, l'invasion extraterrestre comme on ne l'avait jamais vue: c'est à dire réaliste, quasi filmée comme un reportage , impressionnante par son côté vraiment dépressif , grave et inéluctable.
Visuellement les SFX sont au top, pas du tout clinquant, Spielberg opte pour des couleurs très sombres, des vaisseaux et des armes "simples" : un rayon laser à l'ancienne suffit à dézinguer des autoroutes, des avions et des milliers de personnes.
Dans la Guerre des Mondes, on atteint un degré de réalisme jouissif : ici pas de grand héros, pas de scientifiques qui débarquent avec LA solution, pas de militaires vainqueurs, non, pas de tout ça. On est loin des habitudes de ce genre de films (Emmerich pour ne citer que le pire et le plus connu- et cie).
John Williams accompagne le film par une magistrale et profonde composition, dans le même registre que le film lui-même et le tout hisse le film au panthéon du genre.
L'intrigue est parfaite et c'est un coup de maître de ne pas faire un énième film où les hommes gagnent conte l'envahisseur mais où celui-ci va finalement se faire"bouter" de la planète par les bactéries. Malgré les armes , l'Homme n'a pas réussit. Ce sont les plus petits organismes vivants sur cette planète qui sont sortis victorieux. Sielberg n'invente rien, certes, mais il ouvre et ferme son film par cette profonde voix de Morgan Freeman qui introduit et conclut l'histoire. Ça donne un coté vraiment légendaire à la Guerre des Mondes, déjà excellent roman, mais bien meilleur au cinéma sous la direction de Steven Spielberg qui y apporte une touche humaniste indéniable.
C'est une nouvelle étape chez le réalisateur qui offrait jusqu'ici des films souvent beaucoup plus joyeux, plus académique, plus tout public. Avec l'intro et le final du Soldat Ryan, S.Spielberg nous préparait au rugissement puissant des tripodes de la Guerre des Mondes par cette manipulation excessive de la caméra, une utilisation ingénieuse et une approche forcément très immersive.
De plus, niveau fond, le réalisateur est parfaitement en corrélation avec ses thèmes favoris mais il développe aussi des scènes marquantes, limite "choquante" par leur aspect ultra proche de la réalité (comme la scène de la voiture, violente et ahurissante par sa mise en scène ou encore les scène où les tripodes attaquent, personne n'est épargner, tout y passe et les cris rendent le tout vraiment flippant. On a vraiment la sensation que rien n'y échappera et que , plus qu'une invasion, c'est à une "extermination" que nous avons affaire). tout cela est tellement à l'opposé des habitudes du grand cinéaste que ça en devient fascinant.
Rien que le passage dans le sous-sol de la maison d'Oglivy( Tim Robbins) est un bijou de mise en scène avec la photo "dark" ne laissant filtrer que quelques rayons de lumière, les gouttes d'eau incessantes tombant du plafond, coulant sur les murs, l'humidité, le sentiment de huit-cols parfaitement géré, un Tim Robbins encore une fois excellent dans son rôle de paranoïaque quasi-alcoolique, qui parait calme et sur e lui alors qu'en réalité il est atteint par la peur, plus profondément que le personnage de Tom Cruise qui préfère se taire, ne pas combattre les tripodes et fuir, sauvant sa vie et celle de sa fille. Seulement on ne peut pas fuir éternellement. La séquence où Cruise comprend que s'il veut sauvegarder sa progéniture et sa propre vie il devra tuer Oglivy ça flingue ! L'interprétation tout simplement parfaite des acteurs , la scène du meurtre hors-champ ce qui rajoute une tension et un suspens inébranlable à l'ambiance déjà affreusement dépressive etc...tout le film porte en lui les germes du masterpiece.
La majorité des séquences impressionnantes et bourrée de tension sont hors-champ. Pratique qui a due en frustrer plus d'un mais putain que c'est une bonne idée: on soumet l'idée de grandeur épique par une simple colline , des miliaires nombreux mais pas de plans d'ensemble (comme c'est la mode) de toute l'armée et des tripodes. Non, Spielberg opte pour des séquences marquantes nourris par des cris, des effets sonores, des plans vraiment bluffants et une technique de maître. En un film il enterre toutes les autres œuvres de SF du même style. Il ne retranscrit pas l'œuvre de HG Wells mais lui donne une nouvelle jeunesse : il transpose l'œuvre de nos jours et modifie largement l'intrigue pour donner un côté immersif sans égal. Je ne parlerais pas du parallèle post 11 Septembre parce que ce genre de trucs ça me gonfle et même sans le 1 Septembre Spielberg avait déjà ce projet en main donc le rapport faut vraiment le chercher et un film catastrophe avec ou sans le 11/09/01 ça reste un film catastrophe. Je vois pas la différence sur la mise en scène ou l'intrigue vu que c'est la même depuis des décennies....
Bref.
La fin pourra en gêner certains vu la noirceur globale de l'œuvre. Le père retrouve le fils que l'on pensait condamné. La fin du roman est très similaire donc Spielberg est pas forcément fautif et puis c'est pas un défaut de faire une happy-end. Le film et le livre mettent en avant plusieurs choses comme la faiblesse des hommes malgré leur armement, leur grand nombre, et la confiance avec laquelle ils s'imposent sur Terre ou encore la force insoupçonnée de la nature et des cellules organiques microscopiques qui peuvent anéantir une race entière sans mêmes qu'on ne les voient ou qu'on ne les sentent. Une œuvre qui nous remet à notre place et qui transcendant le genre en bafouant les règles, les codes et en mettant en avant des gens "normaux" : pas de scientifiques, pas de militaitres, pas de gouvernement mis en avant, juste des survivants.
9.5/10