ATTENTION SPOILERS !
La Nuit du Chasseur de Charles Laughton (1955)
Une nuit, alors que John raconte une histoire à sa sœur Pearl, un ombre menaçante apparaît projetée sur le mur de la chambre. « Just a man » rapporte John à sa sœur avant de se coucher innocemment. C’est homme, c’est Henry Powell, pasteur de son état, plus ou moins autoproclamé. Celui qui apparaît aux yeux des enfants comme un homme ordinaire se révélera une figure inquiétant et dangereuse au fil de l’histoire. Alors qu’il était jusque là connu pour ses activités de comédien, Charles Laughton effectue ici son premier et malheureusement unique passage derrière la caméra. Adaptation d’un roman de Davis Grubb paru trois ans auparavant,
The Night of the Hunter est un chef d’œuvre ultime, un film qu’il est difficile de ne pas apprécier et qui fait parti de la catégorie des œuvres, très rares, qui vous marquent définitivement. L’œuvre multiplie les sous-textes et analyses diverses et ne cesse de passionner des générations de cinéphiles. A la fois chronique d’une amérique profonde marquée par la crise des années 1930, film noir, western et film fantastique, le film ne cesse de surprendre son spectateur. On ne peut que se demander comment un studio comme la MGM a pu produire un tel film autant à la marge de tout ce qui était produit à l’époque. On comprend ainsi l’échec cuisant que le film a connu lors de sa sortie en 1955. Robert Mitchum trouve ici le rôle de sa vie, celui d’un pasteur fou, qui est en réalité une représentation humaine du « grand méchant loup » récurrent des contes de fées de notre enfance. Son jeu est sans doute un des plus impressionnants et des plus angoissants de l’histoire du Cinéma, il suffit pour s’en rendre compte de s’attarder sur les regards de Powell en direction des enfants, au début du film, laissant présager de la folie que sa carapace « bon chic bon genre » dissimule. Un « grand méchant loup » qui effraie car il est humain. Quoique le film, au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin, laisse le doute sur cet aspect. Le cri qu’il pousse lorsque les enfants lui échappent ou la dernière scène du film laissent supposés la nature animale (on pourrait même aller jusqu'à surnaturelle) du pasteur. En effet, lors de cet ultime affrontement entre lui et le personnage de Lilian Gish (actrice fétiche de David Wark Griffiths), l’ambiguité est totale : Powell est dans le jardin, puis disparaît, faisant place à des animaux divers avant de réapparaître au sein de la maison sans que l’on sache comment il y était entré. De même, il semble ne jamais dormir, pourchassant jour et nuit les deux enfants, monté sur son cheval blanc qu’il aura acquis après un meurtre dont les gitans seront accusés. Touché par Mme Cooper, il court se réfugier dans la grange comme un animal fuyant. Il est parfois évoquer que Mitchum se serait inspiré du loup de Tex Avery pour sa composition, idée particulièrement pertinente. La frontière entre réalité et fantastique n’a jamais été aussi mince que dans ce film, où la nature mystérieuse qui accompagne les enfants lors de leur fuite laisse planer le doute. Le chef opérateur Stanley Cortez (
The Magnificent Ambersons, Secret Beyond the Door, Shock Corridor) livre ici un travail magnifique. S’inspirant très clairement de l’expressionnisme allemand, son travail contribue grandement au sentiment d’angoisse que le film distille. La photographie de la scène où Shelley Winters rentre chez elle et écoute Mitchum par la fenêtre n’est pas sans rappeler
The Exorcist, et l’arrivée de Max Von Sydow chez Ellen Burstyn (plan repris sur la mythique affiche du film). Il est même intéressant de remarquer que, ici, c’est Powell qui incarne le diable qui s’incruste au sein de la famille. De même Walter Schumann livre une composition somptueuse. 55 ans après sa première sortie en salle,
The Night of the Hunter continue de hanter le cinéma mondial et la mémoire collective cinéphile. Une œuvre unique, inclassable, immanquable a voir et à revoir de toute urgence. Et si un jour, vous croisez un homme tout de noir vêtu, chantonnant «
Leaaaniiing... leaaaniiing... on the Everlasting Arm”, il sera sans doute trop tard.
Chil…dren ?
10/10