Soy Cuba de Mikhaïl Kalatozov
(1964)
Un film qui mérite amplement son élogieuse réputation : plus de cinquante ans après sa sortie, ça reste encore un des films les plus révolutionnaires en termes de mise en scène jamais faits. A la base simple commande de propagande soviétique pour montrer que Cuba s’élève contre l’impérialisme américain, Soy Cuba montre très rapidement que son réalisateur a tout fait pour transcender l’objectif initial du film via sa mise en scène. Du coup, et malgré le message pas subtil pour un sou, on en vient rapidement à oublier tout le côté propagandiste du métrage pour se concentrer sur ce qu’il a à proposer visuellement, et de ce côté là le spectacle est total. C’est bien simple, c’est juste un des films les plus dingues que j’ai pu voir niveau réalisation. On a constamment l’impression de voir un long-métrage qui aurait été réalisé vingt ans plus tard (c'est aux années 60 ce que Citizen Kane était aux années 40), avec une photographie à la pointe de ce qui pouvait se faire à l’époque, une caméra dont les mouvements donnent l’impression qu’elle s’est libérée de la moindre contrainte technique, et des ambitions visuelles qui feraient encore pâlir ceux qui s’essayent à l’exercice du plan-séquence.
C’est d’ailleurs souvent pour cela que le film est cité : les plans-séquences de Soy Cuba sont particulièrement nombreux, et à raison puisqu’ils sont d’une élégance rare, et la plupart d’entre eux sont des défis techniques encore incroyables aujourd’hui (on plonge la caméra dans une piscine, on l’a fait évoluer dans un bidonville, puis on de la rue jusqu’au plus hauts étages des immeubles pour la faire traverser des fenêtres, bref des choses qu’on ne voyait tout simplement pas à l’époque). Nul doute que le film en aura inspiré plus d’un de ce côté là, de Martin Scorsese à Paul Thomas Anderson, en passant par Alfonso Cuaron, qui ont chacun fait leur hommage plus ou moins conséquent, mais il serait quand même dommage de limiter le film à juste cet aspect car même quand le film prend une tournure formelle plus classique il se place aussi au-dessus du lot.
Par moment, le film retrouve une maestria du montage qui rappelle les plus grands moments du muet, et si on ajoute à ça la superbe photographie qui joue énormément sur les contrastes, les contre-jours et les grands angles, ça donne des séquences tout simplement magnifiques comme celle du vieil homme qui laboure son champ avant de le détruire par le feu. Côté script, le découpage en quatre histoires paraît un peu gadget au début, mais elles s’avèrent tellement complémentaires entre elles, et la montée en puissance marche tellement bien qu’on comprend vite le choix d’une telle narration. A la limite, le seul défaut que j’aurais à pointer du doigt serait peut-être le dernier segment qui se répète un peu par rapport à ce qui a précédé, mais c'est pas vraiment gênant non plus vu que ça reste dans la logique narrative (tout le film raconte comment naît une révolution). Un grand film de cinéma, et probablement l’un des plus beaux films jamais faits d’un point de vue formel.
8,5/10