Docteur Sleep
Mike Flanagan – 2019
"Un Shining vaut mieux que deux Docteur Sleep"
(quelques spoils inside)
Reconnaissons-le d’emblée, il fallait être soit inconscient, soit sévèrement burné (soit les deux) pour proposer une suite à
Shining. Après le plantage de
2010 faisant suite à
2001, on pensait que ça en aurait calmé plus d’un, mais il faut croire que non.
Mike Flanagan, fort de la bénédiction de
Stephen King et surtout de l’acceptation par ce dernier de reprendre des éléments du film, évidemment plus populaire que la série, a tenté le coup et, sans aller jusqu’à dire qu’il a réussi, est au moins parvenu à pondre un truc acceptable, ce qui n’est déjà pas mal compte tenu du côté casse-gueule d’un tel projet.
Casse-gueule parce qu’on emboîte le pas à
Kubrick et forcément, on sait d’emblée que la comparaison sera en défaveur de l’inconscient qui entreprend ce projet. Ensuite parce que les fans du film de
Kubrick ont souvent méprisé le roman de
King et inversement, les adorateurs du roman ont toujours trouvé le film à côté de la plaque. Le problème étant posé, on imagine combien ça a dû brainstormer sévère dans les cerveaux de
Flanagan et de son scénariste pour réaliser une œuvre qui contenterait tout le monde. Et d’une certaine manière, ils y sont arrivés ! Il paraît que
Flanagan se flatte d’avoir fait un film qui plaît à la fois à
King et à la famille
Kubrick. On veut bien le croire.
King, révolté de voir combien
Kubrick s’en battait l’oeil de sa chaudière qui fout le feu à l’hôtel à la fin du livre, a dû bien bicher en voyant enfin l’Overlook dévoré par les flammes. Et les amateurs de
Kubrick ont dû apprécier ces fondus enchaînés, ces plans aériens, cette étrange présence donnée aux objets, ces effets sonores et ces morceaux évoquant et parfois reprenant l’ambiance musicale de
Shining. Et se replonger dans l’Overlook, lieu iconique du cinéma fantastique s’il en est, n’est pas la moindre des bonnes surprises que réservent le film, une véritable petite madeleine même si, même si… elle ne nous reste pas l’estomac mais nous laisse clairement sur notre faim.
Un déluge de citations pire que le fleuve Pénée détourné par Héraclès. Me rangeant du côté des admirateurs du film (pas lu le roman et connaissant les réserves de
Kubrick à son sujet, je n’en ai pas forcément envie. Quant à
Docteur Sleep, je l’ai lu, j’en garde un souvenir brumeux, pas un grand King à mon avis), je pensais que je n’allais pas tenir un quart d’heure. Et puis finalement la curiosité et un certain plaisir l’ont emporté. On tenait là un film tenant de l’hommage à une œuvre matricielle et essayant en même temps de s’en démarquer en développant les pouvoirs psychiques des personnages disposant du « shining » ou en intégrant des scènes de baston (gunfight ou autre). Donc globalement, les deux heures trente se suivent sans trop de mal. Mais au bout du compte, cette manière de ménager la chèvre et le chou donnent à la fin l’impression d’un film tiède, une sorte de copie propre mais sans génie de la part d’un élève studieux et désirant plaire à ses maîtres. Pour la personnalité, on repassera. Tout comme pour la peur.
D’ailleurs, en parlant de tiédeur, le Danny incarné par Ewan McGregor se pose là. C’est le grand souci : englué dans son univers de citations,
Flanagan en oublie de créer quelque chose de personnel susceptible de faire s’accrocher le spectateur aux accoudoirs de son fauteuil. Celui-ci est sans doute intrigué de voir tous les vieux fantômes et les objets de
Shining réapparaitre. Ici la vieille folle dans son bain, là les jumelles, là encore la machine à écrire de Torrance.
Flanagan va jusqu’à réutiliser la scène d’ouverture en la modifiant numériquement :
Quelques filtres numériques et le tour est joué. Evidemment, on a droit en même temps à une resucée de la version de Wendy Carlos de la Symphonie Fantastique Idem pour la scène dans la salle du bal en usant du même travelling latéral et des mêmes plans. Un peu plus loin, c’est carrément la dispute entre Wendy et Jack sur l’escalier de la grande salle qui est reproduite avec Danny et la méchante du film (guère terrifiante elle aussi, un vrai ratage celle-là) :
Calme-toi Mike, ça devient un peu too much là. Tout cela est bien sympa et suscite un peu de curiosité, mais on est tellement à l’affût de ces citations qu’on en oublie d’avoir peur. Et on n’est pas loin de rire franchement quand arrive cette scène :
Le temps de quelques secondes, l’Overlook devient le théâtre d’un
Muppet Show macabre qui, associé aux super pouvoirs psychiques des personnages, bien dans l’ère du temps finalement, bien conventionnels, achève de faire de ce film un produit de consommation convenablement réalisé mais qui sera vite oublié. Une adaptation de
King, une de plus. Pour ce qui est d’un nouveau film dans la lignée des
Shining,
Carrie et autre
Christine, c’est autre chose.
4/10