La Traque de Serge Leroy
(1975)
Des films oubliés et qui le méritent, il y en a des milliers. La Traque ne fait pas partie de ceux-là. Drôle de destin pour ce film sorti en 1975, soit la même année que Le vieux fusil, trois mois d’écart ce dernier. Pendant que le film d'Enrico allait faire deux millions d'entrées et remporter le César du meilleur film pour en faire le classique que l'on connaît, celui de Serge Leroy, avec un postulat similaire (une chasse à l'homme meurtrière) va connaître une histoire moins glorieuse : passage anecdotique en salles, aucune nomination aux Césars, puis aucun réel suivi du film en vidéo jusqu'à très récemment. Bref, c'est un vrai film oublié, avec pourtant un casting pas dégueu (Marielle, Lonsdale, Constantin, Bideau, Mimsy Farmer, bref c'est pas de la distribution de seconde zone non plus), et un pitch carrément tentant pour du cinéma français, puisqu'il est question de suivre une partie de chasse qui dégénère, et qui se finira en traque pour mettre fin aux jours d'une femme qui ne cherche qu'à s'échapper de ce cauchemar. Le début du métrage a de quoi intriguer : dès qu'on ne suit plus Mimsy Farmer, on est limite dans une approche documentaire des parties de chasse entre campagnards. Comportement, langage, le repas avant la chasse, les tactiques pour tuer le sanglier, tout sonne vrai, et du coup le dérapage inattendu n'en est que plus prenant : il y a une volonté de réalisme, même dans la mise en scène, qui rend le tout incroyablement immersif, on a vraiment l'impression d'être dans cette campagne française peu accueillante (et je dis ça l'ayant vu avec les moyens du bord, je n'ose pas imaginer ce que ça donnera avec le futur blu-ray prévu cette année).
Et puis le film a l'intelligence de ne pas aller à fond dans le film de genre. On est pas vraiment dans le rape and revenge, on est pas non plus devant une course-poursuite tendue du slip de bout en bout, c'est plus une rencontre entre deux mondes qui n'aurait jamais dû se faire, que les deux parties regrettent amèrement, mais qui foncent tout de même vers une issue peu reluisante. Bref, pas de retournement de situation à la Revenge (pour prendre un équivalent contemporain tout naze de traque de femme par des hommes) avec une femme qui deviendrait Rambo d'un coup, pas d'écriture simpliste avec des hommes très méchants qui méritent de crever. Chez Serge Leroy, on humanise tout le monde, même les enfoirés, on crée de la nuance chez les traqueurs (j'adore le fait qu'il y ait une zizanie chez eux, rendant l'évolution de leurs relations captivante), le rapport de force reste réaliste, et surtout on en vient à plaindre tout le monde sur les dernières minutes : qu'importe les actes, bons ou mauvais, personne ne souhaitait en arriver là. Bref, là où Leroy aurait pu tomber dans le piège du spectacle facile, on sent la retenue pour arriver à quelque chose de simple, mais pas simpliste. Une super chasse à l'homme made in campagne française qui mérite de sortir de l'oubli.
7,5/10