Malgré la grosse réputation de classique du cinéma, j'avoue avoir eu du mal à trouver la motivation pour celui-là, au point qu'il est resté pendant une bonne décennie sur mes étagères. Forcément, la durée joue beaucoup (trois heures tout de même) et le fait que le film soit limite considéré comme le long-métrage le plus raciste du monde ne joue pas en sa faveur, mais à côté de ça il y a quand même un réel intérêt à découvrir ce métrage aujourd'hui. Déjà, évoquons rapidement la question du racisme. Est-ce que c'est gênant ? Oui, et pas qu'un peu. Faut dire que quand ton film démarre avec un carton indiquant que les premiers problèmes aux États-Unis sont arrivés avec les premiers noirs d'Afrique
, on sent que ça va pas spécialement être objectif dans le propos. Néanmoins, j'ai été assez étonné de constater que pendant une grande partie du film, la première moitié exactement, on évacue quasi complètement la réflexion raciste.
Sur cette partie, le film n'est ni plus ni moins que l'ancêtre de
Gone with the wind (qui en reprendra la structure et certains passages comme l'incendie d'Atlanta), la romance en moins et un côté documentaire sur la Guerre de Sécession en plus. Griffith est un passionné de cette période, ça se sent, le bonhomme faisant un récapitulatif filmé de tout le conflit, et allant jusqu'à reprendre la composition de tableaux célèbres pour composer ses propres plans (le bureau du président notamment) ou même de détailler point par point l'assassinat de Lincoln. Et faut voir les moyens qu'il se donne : imaginez un film où on recrée des batailles sur des champs entiers, avec des centaines de figurants et des explosions de tout les côtés, et vous aurez une petite idée de la démesure de l’œuvre de Griffith. On évoque souvent le fait que ce film serait le premier vrai blockbuster de l'histoire du cinéma, et je comprend aisément pourquoi tant on a déjà dans ce métrage toute l'essence de futures œuvres qui chercheront à rassembler un large public sous le signe du spectacle total. Bref, rien que pour cette première moitié, malgré ses quelques longueurs (la présentation des deux familles notamment), le film mérite au moins de s'y attarder un peu.
Et si je dis ça, c'est parce que la seconde moitié, elle, je comprendrais parfaitement que des spectateurs décident de faire l'impasse dessus. Car voilà, la réputation de film raciste n'est pas usurpée, et c'est le moins qu'on puisse dire : Griffith décide de consacrer la deuxième moitié de son film, soit une heure et demie, à raconter ce qu'a donné la libération des esclaves dans les États sudistes. Le truc étant qu'il le raconte avec un point de vue de sudiste (son père était colonel dans cette armée), et donc le moindre noir est ici représentée de la façon la plus ignoble possible : fainéant, bête et incapable de savoir-vivre, son passe-temps préféré est visiblement de danser comme un singe, de boire de l'alcool ou tout simplement de chercher à posséder sexuellement des jeunes filles blanches. Quand le noir selon Griffith a un tant soit peu d'intelligence, il cherche à manipuler ses pairs, là aussi pour se marier avec une fille blanche qui ne veut pas de lui. Et sur cette représentation, on va donc raconter le soulèvement des hommes blancs face aux noirs, et la création du Ku Klux Klan comme symbole de cette cause, le tout évidemment avec des citations de la Bible pour justifier le délire, et même un plan final avec Jésus qui approuve les actions du Klan
pour bien enfoncer le clou dans la bêtise la plus profonde.
Au final, le film est plus que difficile à juger : c'est un film fascinant en terme de démesure, une œuvre incroyable d'un point de vue technique, le montage est d'une fluidité et d'un modernisme complètement dingue pour l'époque (je comprend désormais pourquoi Eisenstein disait qu'il devait tout à Griffith), et je pense sincèrement que le cinéma tel qu'on le connaît aujourd'hui doit énormément à cette production. Mais à côté de ça, il faut se taper une idéologie complètement puante, sans aucune once d’objectivité (les seuls noirs considérés comme bons dans ce film sont les esclaves qui ne se rebellent pas contre leurs maîtres), et des scènes hallucinantes d'idiotie. Un film à ne pas mettre entre toutes les mains donc, mais qu'il est important, culturellement et historiquement, de conserver.