Première revision depuis le cinéma et y'a pas à dire : non seulement c'est l'un des meilleurs films d'animation de ces dernières années, mais c'est aussi le meilleur film de super-héros depuis
Spider-Man 2, et ça, ça fait bien plaisir dans le contexte actuel où les films du genre se suivent et se ressemblent. C'est d'autant plus étonnant que ce film vient de la branche animation de Sony, qui a signé quelques succès commerciaux, mais qui est loin d'être connue pour être productrice de métrages novateurs que ce soit d'un point de vue narratif ou visuel (à l'exception du premier
Tempête de boulettes géantes), et qui a plutôt réputation de brider ses réalisateurs (notamment Tartakovsky à qui on refusera son projet Popeye pour le forcer à continuer à faire des suites d'
Hôtel Transylvanie). Bref, un film Spider-Man chez eux, c'était pas forcément le truc le plus évident, et encore moins le plus prometteur, mais le fait est que le résultat est là : pour la première fois, un véritable grand film sort de chez Sony Animation.
Alors clairement, on pourrait penser à un alignement d'étoiles qui aura permis à la production d'accepter une direction artistique complètement à l'opposé de ce qui se fait habituellement dans l'animation 3D, mais je pense sincèrement que la présence de Phil Lord au script, et son comparse Miller à la prod, doit énormément jouer dans la prise de risques du métrage. Il y a dans ce
Into the Spider-Verse une alchimie assez dingue, une folie ambiante mêlée à un profond respect du matériau de base, qui donne un film admirable à bien des égards. C'est un film qui rend hommage au personnage de Spider-Man et sa mythologie (autant sur le papier que dans la culture populaire), mais aussi au film de super-héros en général, et pour le coup tout le propos autour de "n'importe qui peut porter le masque" est vraiment intelligent : c'est un film qui incite à devenir soi-même le héros que l'on souhaite être, et ce genre de message, je ne l'avais pas ressenti depuis la trilogie de Sam Raimi. Pour le coup, on est à des kilomètres de ce qui se fait chez Marvel Studios, ou même chez DC : on a pas la sensation d'être devant la simple exploitation d'une licence, mais bien devant un film qui a tout compris au sujet qu'il traite, et qui décide de le faire de la façon la plus universelle possible.
C'est d'ailleurs pour ça que je pense que le film possède la côte d'amour qu'il a actuellement (65ème meilleur film ever sur IMDB à l'heure où j'écris ces lignes) : c'est un divertissement total, intelligent, original autant dans ce qu'il raconte que dans sa façon de le raconter, et avec une touche visuelle unique qui est à mon sens le plus beau mélange d'inspirations cross-media depuis
Speed Racer. Tout le parcours de Miles Morales est passionnant, le script évite constamment les pièges de l'énième adaptation du même super-héros, et tout le potentiel du Spider-Verse se confirme à l'écran, avec un bon mélange des genres et des styles, ou comment faire évoluer dans le même cadre des personnages issus d'inspirations complètement différentes (en témoigne Spider-Ham, et son look/animation en mode Tex Avery, ou encore Peni Parker en mode animé japonais). C'est tout un film sur la cohésion d'équipe, et pour le coup ça se ressent super bien dans la mise en scène, qui doit, je pense, beaucoup à la présence de Peter Ramsey, qui avait auparavant réalisé
Rise of the Guardians, lui aussi film de super-héros qui gérait parfaitement dans le même cadre l'utilisation de plusieurs personnages sans jamais donner trop d'importance à certains par rapport à d'autres.
Formellement, je l'ai déjà dit : c'est l'un des films les plus dingues de ces dernières années, autant dans sa direction artistique que dans sa réalisation. Il y a une idée de mise en scène toutes les cinq secondes, et chaque vision permet de découvrir des petits détails dans le cadre, des idées de raccord, de narration. Bref, c'est un film qui fourmille d'inventivité, et autant on aurait pu aisément tomber dans le piège du too much, autant le métrage arrive constamment à se recentrer sur ce qui fait le cœur du métrage, notamment du côté de l'émotion. C'est rare qu'un film arrive à me faire passer du rire aux larmes dans la même minute, et ce
Into the Spider-Verse fait parti de ce cercle fermé. C'est hilarant à de nombreuses reprises (la découverte des pouvoirs ou du premier Spider-Man alternatif, ce sont de très grands moments de comédie), mais c'est aussi un film très sérieux sur la prise de responsabilités, d'indépendance, de choisir qui va être le modèle de vie sur lequel on va se baser dans les années à venir (super storyline croisée du père et de l'oncle), et ça donne de superbes scènes comme celle de la confession d'un père à son fils à travers une porte fermée : comment exprimer des sentiments compliqués dans une situation tout ce qu'il y a de plus simple.
Et je parle de tout ça, mais je n'ai pas encore causé de tout ce qui touche à l'action, et là mon parallèle fait précédemment avec
Speed Racer n'est pas volé : c'est un festival d'expérimentations au service d'un spectacle visuel à la fois lisible et inventif. Un exemple parmi tant d'autres : la scène dans le laboratoire avec Doc Octopus, ou comment faire une scène d'action à multiples niveaux, où l'on suit plusieurs personnages différents faisant chacun une action spécifique, et ce tout en arrivant à garder un niveau hallucinant de clarté pour le spectateur. Pour le coup, c'est ce que j'appelle de la très grande mise en scène. Et puis il y a évidemment toute la partie animation, et sans rentrer dans trop de détails techniques, je dirais que le film gère habilement des idées formelles toutes simples au service du fond et de la narration. Un exemple encore une fois : le fait d'animer Miles Morales à douze images par seconde à côté d'un Spider-Man animé à vingt-quatre, c'est permettre de faire passer subtilement au spectateur la sensation que Miles est un personnage qui n'a pas encore l'aisance qui lui permettrait d'être meilleur (et donc moins saccadé). Une fois le saut de la foi effectué (superbe scène par ailleurs, gros frissons à chaque visionnage) Miles est animé à la même fréquence que ses partenaires alternatifs : il est devenu un héros accompli. Je pourrais continuer longtemps sur les nombreux détails de fabrication du métrage, qui en font une œuvre complexe et aboutie, mais le mieux est encore de s'en rendre compte soi-même à la vision.
Cerise sur le gâteau en tant que spectateur fan des Spider-Man by Sam Raimi : le film fonctionne étonnamment très bien en tant que suite de la trilogie citée. J'ignore si c'est voulu, quand bien même Phil Lord a l'air d'avoir beaucoup de respect pour ce que Raimi a pu faire (oui, il y a la petite pique à la danse de
Spider-Man 3, mais il faut voir le nombre de références qu'il y a à la trilogie dans son ensemble entre reprises d'images iconiques, situations, etc... je doute que ce soit une coïncidence), mais clairement que ce soit le Peter Parker qui a foiré sa vie au point de délaisser sa partie héroïque, ou celui de l'univers de Miles Morales, ça me paraît être l'évolution carrément probable du Parker incarné par Tobey Maguire. Ça pourra être un détail pour certains, mais le fait d'avoir enfin un film que je peux considérer comme un Spider-Man 4, et une conclusion parfaite des films de Raimi, forcément ça joue beaucoup pour le fan que je suis, et ça ne fait qu'augmenter l'amour que je peux porter à ce film d'animation.
Côté casting vocal, tout le monde est parfait dans son rôle, et c'est d'autant plus étonnant qu'on imagine pas forcément Nicolas Cage en Spider-Man Noir qui défonce du nazi, ou Chris Pine en Peter Parker. Ma grosse surprise vient surtout de la découverte Shameik Moore/Jake Johnson : j'ignore ce qu'ils valent en tant qu'acteur, mais côté voix c'est juste la perfection pour les rôles choisis. Enfin, mention spéciale à la BO : d'une part je trouve très juste toute la partie soundtrack, ça participe à l'ambiance, c'est bien choisi et jamais envahissant, mais toute la compo de Daniel Pemberton est vraiment bien foutu, avec beaucoup de sound-design incorporé dans la musique qui me rappelle pas mal le travail de Steven Price. Bref, la longueur de ma critique aura sûrement déjà annoncé l'évidence :
Into the Spider-Verse est un film important à mes yeux, le film-somme de tout un pan de pop-culture contemporaine, admirablement bien mixé dans un divertissement de premier ordre où l'on pleure, rigole, frissonne, le tout en écartant bien les yeux pour ne rien perdre du spectacle visuel proposé. Un grand film que j'aime de plus en plus à chaque vision, et que j'ai déjà envie de revoir.