Qu’est-ce qui a pu pousser Kubrick à choisir de suivre ce curé pas comme les autres pour son deuxième documentaire ? J’ai beau fouiller dans ma documentation, je n’ai rien qui permette de le dire. Une chose est sûre, avec Flying Padre Kubrick franchit une étape par rapport à Day of the Fight. Dans les deux cas, il s’agit de suivre un individu atypique. D’un côté un boxeur professionnel affublé de son frère jumeau, de l’autre un curé aviateur dans le Nouveau Mexique, le père Stadtmuller, qui utilise son appareil à tout moment afin de faire des messes, de célébrer des funérailles lorsqu’il ne s’agit pas tout simplement d’aider une mère esseulée dans un coin perdu avec son gamin qui vient de tomber malade. Encore une fois il s’agit d’une humanité à la fois banale, le type que l’on peut avoir à côté de son palier, et étonnante de par le métier choisi et surtout la manière de pratiquer ce métier.
Après, la différence essentielle provient surtout du challenge que l’univers du père Stadtmuller propose à la caméra de Kubrick. Rompu à l’exercice du photo-journalisme après plusieurs années passées à Look, le jeune Kubrick a largement fait preuve pour ce qui est de capter des sujets intéressants sur notre bon vieux plancher des vaches. Avec Flying Padre, ça se complique un peu puisqu’il s’agit de gérer à la fois ce qu’il se passe au sol et ce qu’il se passe dans les airs. Il ne s’agit plus de capter ce qui se passe autour d’un ring ou le quotidien d’un boxeur dans son quartier, son appartement la veille d’un match, mais de suivre un curé volant à la fois sédentaire et furieusement nomade de par son activité.
Comme Kubrick avait la réputation d’avoir une peur bleue en avion, on l’imagine mal s’être allongé entre les jambes du père pour saisir un plan en contre-plongée :
Comme Kubrick avait la réputation d’avoir une peur bleue en avion, on l’imagine mal s’être allongé entre les jambes du père pour saisir un plan en contre-plongée :
A la vue des ombres à l’arrière-plan qui sont fixes alors que le père est en train d’opérer un virage, on sent plutôt la scène filmée au sol avec un simple mouvement de caméra. Exemple de trucage permettant de faire simple tout en donnant l’illusion du réel, ce sera le premier d’une longue série.
Mais qu’importe, il y a vraisemblablement eu le défi de capter quelque choses dans les airs afin d’immerger davantage le spectateur dans le quotidien du curé. On est certes encore loin des boeings de Docteur Folamour, de 2001 et de ses machineries pour reproduire une station orbitale ou encore de Full Metal Jacket et de ses hélicoptères mais il s’agit tout de même d’embarquer des caméras à bord d’un avion de tourisme pour, le temps de quelques plans, accroître le réalisme du quotidien du personnage principal et donner au spectateur l’impression d’ « y être ». Cela paraît dérisoire aujourd’hui, alors que l’on peu dégainer n’importe quel appareil numérique pour capter un décollage ou un atterrissage, à l’époque ça l’était sans doute moins. A la vue du résultat, il n’y a évidemment pas de quoi sauter au plafond. Mais comme pour The Day of the Fight, cela participe d’un dynamisme au niveau du montage qui rend le court-métrage documentaire assez plaisant à suivre. On voit d’abord le père débarquer dans un village mexicain pour célébrer des funérailles et là aussi, Kubrick s’attache à multiplier les plans, notamment des gros plans et les plans rapprochés pour accentuer la proximité avec le public de l’enterrement :
Dans la scène suivante, alors que le père à regagné ses pénates, une fillette vient le voir pour se plaindre d’un méchant garçon qui la persécute. Le bon curé ne fait ni une ni deux et suit aussitôt l’éplorée pour aller voir le garnement. Ce dernier n’a pas droit à un coup de pied au cul mais à un sermon (que l’on n’entendra pas) avec un index chargé de menaces :
Un fille maltraitée, un voyou, un prêtre… bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Kubrick avait en fait déjà en tête… Orange Mécanique !
Comme on peut le sentir à travers la capture, c’est un documentaire qui sent le bidonnage. The Day of the Fight donnait aussi l’effet d’un naturel capté très organisé, très composé, finalement faussement naturel, surtout lors des scènes d’intérieur avec les deux jumeaux. Mais la captation en live du combat supposait au moins une captation sur le vif qui limitait les tentatives du réalisateur pour créer une histoire.
Dans Flying Padre, c’est autre chose. L’anecdote de la fillette persécutée par un galopin a été mise en scène de A à Z par Kubrick, en échange de quelques dollars donnés aux deux enfants afin d’avoir une petite scène croustillante. On n’y croit pas une seule seconde et l’on en vient à se demander si ce père Stadtmuller ne serait pas lui aussi un quidam payé pour jouer un rôle. Il serait ici intéressant de voir d’autres de ces petits documentaires de l’époque afin de comparer et de voir si l’on est aussi souvent face à ce type de « naturel artificiel ».
Quoi qu’il en soit, il y a dans Flying Padre la tentation de la fiction, comme avec cette histoire de mère paniquée qui appelle le padre pour qu’il transporte à la ville la plus proche son bébé malade. Il n’y aurait eu qu’une caméra au moment où le père décroche le bigophone, caméra qui l’aurait suivi tout le long de son vol pour aller retrouver la mère et le bébé, à la rigueur on aurait pu y croire. Mais comme d’emblée il y a une autre caméra (sans doute la même en fait mais grâce à la magie du montage Kubrick multiplie dans ce deuxième court-métrage les effets de simultanéité) chez la mère, l’épisode est évidemment une reconstitution qui tente de donner l’illusion du vrai.
Dans Flying Padre, c’est autre chose. L’anecdote de la fillette persécutée par un galopin a été mise en scène de A à Z par Kubrick, en échange de quelques dollars donnés aux deux enfants afin d’avoir une petite scène croustillante. On n’y croit pas une seule seconde et l’on en vient à se demander si ce père Stadtmuller ne serait pas lui aussi un quidam payé pour jouer un rôle. Il serait ici intéressant de voir d’autres de ces petits documentaires de l’époque afin de comparer et de voir si l’on est aussi souvent face à ce type de « naturel artificiel ».
Quoi qu’il en soit, il y a dans Flying Padre la tentation de la fiction, comme avec cette histoire de mère paniquée qui appelle le padre pour qu’il transporte à la ville la plus proche son bébé malade. Il n’y aurait eu qu’une caméra au moment où le père décroche le bigophone, caméra qui l’aurait suivi tout le long de son vol pour aller retrouver la mère et le bébé, à la rigueur on aurait pu y croire. Mais comme d’emblée il y a une autre caméra (sans doute la même en fait mais grâce à la magie du montage Kubrick multiplie dans ce deuxième court-métrage les effets de simultanéité) chez la mère, l’épisode est évidemment une reconstitution qui tente de donner l’illusion du vrai.
Un bébé qui au passage n’a pas l’air si malade que cela.
L’ensemble est donc terriblement naïf, mais dans le contexte de l’époque il est probable qu’il s’agissait de la norme et que ce type de résultat était accepté. Dans tous les cas, cela permit à Kubrick de s’essayer à un exercice de style encore un peu plus ambitieux que le précédent. Atteint par le virus de l’image en mouvement, il dut cette fois-ci composer avec deux strates spatiales (et de plus sans rapport avec son milieu new-yorkais), le sol et les airs, mais aussi donner des effets de simultanéité d’actions se produisant à des endroits différents. Tout cela en s’efforçant comme à son habitude de rendre la copie la plus propre possible dans le domaine de la composition. D’une certaine manière, la mission a été accomplie mais Kubrick devrait attendre encore un peu avant de sauter le pas pour faire un récit entièrement de fiction. Après la terre et les airs, le prochain objectif allait être la mer, avec un troisième documentaire.