Kechiche à la base c’est clairement un réalisateur dont je me contrefous, et je me souviens avec douleur des quelques extraits de
L’Esquive que j’ai eu le malheur de voir. Pourtant, il aura fallu un film, à savoir
La vie d’Adèle, pour me rendre curieux du travail du bonhomme, notamment à travers son approche de la sensualité dont j’ai du mal à trouver un équivalent. Au-delà de la découverte d’Adèle Exarchopoulos (
), et malgré les longueurs évidentes, ce qui m’avait étonné dans
La vie d’Adèle c’était à quel point la façon de filmer les corps était indissociable de l’histoire d’amour passionnelle qu’on racontait. Du coup, voir Kechiche s’attaquer à une histoire de jeunes qui vont se tourner autour durant tout un été m’a intrigué, un peu comme la promesse de voir un dérivé de Rohmer plus cash et plus porté sur le cul.
A l’arrivée, je suis plutôt déconcerté : certes, j’ai eu plus ou moins ce que j’attendais du métrage, mais à côté de ça
Mektoub my love me paraît être un film complètement hors de contrôle, comme si Kechiche, conforté par sa Palme d’Or, avait poussé au maximum tout ce qui caractérise son cinéma, quitte à côtoyer les extrêmes. Il en résulte un film particulièrement étrange, et pour cause : pendant quasiment trois heures, on ne suit effectivement que des séquences de vie quotidienne, avec sortie à la plage, des verres échangés dans des bars, des danses en boîte de nuit, et c’est tout. Aucune intrigue, aucun réel fil rouge à suivre si ce n’est l’attirance présumée du héros pour sa cousine, bref c’est clairement pas un film à regarder pour voir une histoire à proprement parler. C’était quelque chose qui pouvait déjà se voir dans son précédent métrage, mais là on atteint vraiment l’extrême : à chercher à faire vrai, à capter une totale authenticité, Kechiche livre un film qui va en déstabiliser énormément (ça faisait longtemps que je n’avais pas vu autant de personnes quitter la salle de cinéma en cours de séance) et qui agace à bien des reprises tant il tire en longueur pour absolument aucune raison (sérieux la sortie en boîte de nuit ça doit bien durer dans les vingt minutes, tout ça pour raconter un truc qui aurait pu se faire en quelques plans).
Sans pour autant être captivant, le film ne m’a jamais réellement paru ennuyeux, quand bien même il titillait mes limites, et je pense que ça doit beaucoup encore une fois à la sensualité des corps qui se dégage de la mise en scène de Kechiche. Formellement, rien de bien sensationnel, c’est de la caméra épaule tout ce qu’il y a de plus classique, mais il me paraît évident que le mec a un truc pour filmer les corps, notamment féminins, pour en sortir une sensualité totale, et rien à voir avec le fait de dénuder les personnages car pour le coup on est très loin de
La vie d’Adèle : passée le premier quart d’heure il n’y a aucune scène de sexe. Kechiche l’avait déjà prouvé par le passé : il a vraiment le don pour trouver des actrices qui explosent à l’écran. Pour le coup, si Ophélie Bau est loin d’être la révélation qu’avait pu être Adèle Exarchopoulos, la faute à une direction d’acteur où l’on devine beaucoup d’improvisation, ce qui n’a pas dû aider certains, elle vole le film dans le moindre plan où elle apparaît, Kechiche la filmant à tel point sous tous les angles que ça en frôle l’indécence (mais ça permet de faire passer les trois heures
). L’acteur principal se débrouille bien avec son omniprésence à l’écran, c’est juste dommage qu’il n’ait pas grand chose à défendre : suivre pendant trois heures un personnage aussi transparent, c’est quand même pas spécialement la joie. Bref, c’est un film qui vaut surtout pour le côté très sensuel qu’il dégage, mais pour le reste il y a vraiment l’impression de voir Kechiche qui teste les limites de son cinéma en se disant que quoi qu’il fasse, ça plaira au public. Manque de bol, ça ne fonctionne qu’à moitié, car bon trois heures pour voir un mec essayer de prendre en photo sa cousine à poil sans y arriver, et qui se console avec des photos d’accouchement de chèvres, c’est quand même un peu beaucoup
. Ceci dit, si suite il y a comme prévu, et toujours avec Ophélie Bau, je garantis pas que je ne tenterais pas le coup.