Keiko desu kedo, de Sion Sono (1997)
L'histoire : Une jeune femme solitaire, obsédée depuis le décès de son père par le temps qui passe, décide de décrire avec minutie chacune des journées qui la séparent de son vingt-deuxième anniversaire. Et ce même si ses journées se révèlent solitaires, banales voire vides...Tout cinéphile finit par souffrir, un jour ou l'autre, d'une crise de complétisme... Pour peu qu'un cinéaste le fasse vibrer avec une ou plusieurs œuvres, il risque de s'infliger par la suite
tous ses longs-métrages, y compris ceux qui ne lui inspirent rien de bon. Quitte à se mentir parfois, à surinterpréter le moindre plan et à fantasmer des qualités inexistantes... Vous avez aimé des films comme
Le Parrain et
L'Impasse ? Vous risquez dans ce cas, un jour ou l'autre, si ce n'est pas déjà fait, de vivre des moments pénibles devant
Twixt ou
Passion, derniers méfaits en date de cinéastes hier brillants. Mais ce complétisme peut également porter sur des œuvres de jeunesse que l'on qualifiera, si l'on reste indulgent, de
brouillonnes... Le cas qui me préoccupe ici, celui de Sion Sono, constitue un exemple pertinent : j'ai été marqué par le suicide collectif de lycéennes qui ouvre
Suicide Club, par l'hallucinante gestion du rythme de
Love Exposure, par l'époustouflante (dans tous les sens du terme) Megumi Kagurazaka dans
Guilty of Romance et par les interprétations de Shôta Sometani et Fumi Nikaidô dans
Himizu... J'ai souvent souffert depuis, mais ni l'insupportable cabotinage de Hiroki Hasegawa dans
Why Don't You Play in Hell ? et
Love & Peace, ni le sang qui a coulé de mes oreilles lors de ma découverte de
Tokyo Tribe n'ont eu raison de l'intérêt que je porte aux projets d'un cinéaste stakhanoviste qui semble soucieux de se remettre en question et capable, comme
Tag l'a prouvé, de transcender un film de commande qui, entre d'autres mains, se serait sans doute révélé plus classique, voire fade... Et lorsque je regarde la
bande-annonce de son dernier film en date,
Antiporno, film que je suis impatient de découvrir, je remarque deux choses :
1) Ami Tomite, découverte dans
Tag et
The Virgin Psychics, me fait toujours autant d'effet. Et arrivé à la moitié de cette critique, il me semble juste de vous récompenser avec quelques clichés de la belle, extraits du vingt-cinquième numéro de
Weekly Playboy paru en 2016 et de son dernier
photobook en date sorti peu avant Noël (vous n'imaginez pas toutes les lectures que je m'impose dans le seul but de vous tenir informé). Vous me pardonnerez, j'en suis sûr, la gratuité de cette parenthèse.
2)
Antiporno est l'un des cinq films commandés par la Nikkatsu dans le cadre de son
roman porno reboot... Au vu des différentes bandes-annonces, le film de Sion Sono semble se démarquer (
"J’avais décidé qu’il n’y aurait qu’une situation, un décor, un studio. J’aime tourner rapidement" a-t-il déclaré lors d'une
interview croisée) de ceux de ses collègues.
Ce choix du minimalisme m'a rappelé les rares images que je connaissais de
Keiko Desu Kedo...
Antiporno va-t-il, tout comme
Tag avant lui, jouer la carte de la métatextualité et dialoguer avec d'autres films du cinéaste ? Ma curiosité et la faible durée de cette œuvre de jeunesse (1 heure, 1 minute et 1 seconde), couplées à ce fameux esprit complétiste, m'ont poussé à le découvrir. Et pourtant, tout comme les autres travaux du cinéaste réalisés avant
Suicide Club,
Keiko Desu Kedo ne me disait rien qui vaille... Pour vous donner une idée de ce film et du calvaire qu'il représente, imaginez au préalable l'installation la plus pénible que l'on puisse rencontrer dans une exposition d'art contemporain. Vous savez, quelque chose comme cette télévision planquée au fond d'une salle qui sent le renfermé et qui diffuse en boucle des images sans queue ni tête, des images qui peuvent rendre fou si l'on reste trop longtemps devant. Imaginez à présent que cette installation a copulé avec l'un des sketchs des Inconnus qui parodient l'émission
Cinéma, Cinémas et vous comprendrez ma souffrance. Lorsqu'un film débute avec un plan fixe sur une horloge et qu'une femme compte en
voix off chaque seconde qui s'écoule pendant une minute, vous savez que vous avez commis une erreur en lançant sa lecture et vous vous retenez d'appuyer sur la touche
accélérer de votre télécommande. Mais vous ne pourrez pas vous retenir longtemps, car le film dans son intégralité se résume à ça : une femme dans une pièce rouge qui compte les secondes, nettoie ses étagères, fait l'inventaire des objets en sa possession... Le passage du temps la fascine, mais ce temps, en sa compagnie, s'étire jusqu'à l'épuisement et s'apparente à une torture psychologique.
Foutu esprit complétiste... Espérons que les points communs entre cette abomination et
Antiporno se limitent au décor unique et à l'aspect monochrome. Au pire, contempler les fesses d'Ami Tomite sera plus agréable que regarder les aiguilles d'une horloge.
Note : 0/10