[Nulladies] Mes critiques en 2017

Modérateur: Dunandan

[Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Nulladies » Mar 03 Jan 2017, 06:50

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Le cercle des poètes disparates

Lorsqu’un poème est écrit en prose ou en vers libre, il perd instantanément la faculté d’immédiate séduction qu’avait son prédécesseur en vers : la rime, le rythme, musique et cadence de la forme dont la perfection impressionne et suscite l’admiration : pour la beauté, pour la maitrise.
Dénué de ces contraintes, le poème devient mystère : pourquoi tel enchainement de mot serait-il subitement poésie ? Quelle valeur attribuer à ces termes ? A ces sonorités, ces répétitions ? Une attente nait chez le lecteur, - non loin de l’angoisse pour certains - : que me dit-on ? Que dois-je voir ? Qu’est-ce qui pourrait m’échapper et relevait pourtant de l’art ?
Cette question semble à l’origine même de l’écriture de Paterson, et, quand on y songe, préoccupe Jarmusch depuis ses débuts : traquer les traces poétique dans l’insolite du quotidien, que Perec nommait si bien l’infraordinaire.
C’est donc aux antipodes absolus d’Only lovers letf alive que se situe ce nouveau chapitre de sa filmographie. Le récit, organisé par journées sensiblement identiques d’une semaine de labeur, suit la routine de Paterson, chauffeur de bus dans une ville de seconde zone qui avait tout pour être qualifiée d’anonyme. En véritable ethnologue, Jarmusch décline tous les éléments de cette ville où se succèdent la brique et les friches industrielles : conversations des passagers du bus, préoccupations de ses collègues ou de l’épouse en femme d’intérieur, jusqu’au barman, sorte de gardien de musée : tous ont à cœur de défendre leur ville, et notamment ses illustres natifs, l’occasion pour le cinéaste du name dropping un peu vain dont il est coutumier.
Nul événement, donc, et presqu’aucun élément perturbateur : l’écriture des poèmes, au contraire, exacerbe l’absence de drame puisqu’elle se focalise, à l’image de celle de William Carlos Williams, cité à l’envi, sur la description des éléments les plus inertes et banals.
C’est là l’une des étonnantes mauvaises surprises du film : les séances d’écriture et l’esthétique qui les accompagne. Le texte à l’écran n’est déjà pas du meilleur effet, mais les fondus enchainés et les plans d’eau viennent encore alourdir la charge, et desservent beaucoup la légèreté assumée des vers en question.
C’est d’autant plus étonnant qu’en matière de poésie, la forme du film lui-même est travaillée avec une grande pertinence. Tout ce qui fait la singularité bien connue de Jarmusch s’articule exactement comme un poème. C’est, tout d’abord, le principe des rimes internes et de la musicalité qui structure ces éléments apparemment anodins. On ne reviendra pas sur le fait qu’Adam Driver joue un bus driver du nom de Paterson dans la ville du même nom. Le motif des « twins » par exemple, évoqué comme un rêve de Laura au premier matin, se retrouve ainsi dans un nombre incalculable de scènes : enfants, vielles dames, amis, tous semblent vivre sous ce régime particulier ; de la même manière, la « boule de feu » crainte pour l’accident de bus revient dans trois bouches différentes, et les « water falls » occupent une petite fille rencontrée « au hasard » comme l’épouse le soir même. De ce fait, les coïncidences ne sont plus de mise, et Jarmusch souligne avec plaisir, comme il le faisait déjà dans Ghost Dog, les harmonies et les échos entre les conversations et les situations : aucune rencontre n’est due au hasard, et l’on s’en étonne à peine.
Mais au-delà de cette écriture, c’est l’insolite qui prend encore davantage la charge poétique, avant tout incarné par le personnage de Golshifteh Farahani : son obsession pour le graphisme, son désir de réussite, ses lubies illuminent autant qu’elles inquiètent avec tendresse. La distance de Paterson sur ce grain de folie semble à l’unisson de celle du scénariste, tout comme l’amour éperdu qu’il lui voue. L’étrangeté n’est pas ici une fin en soi – comme elle a pu l’être par moments chez Jarmusch : c’est un levier vers la contemplation, une attention accrue qui est celle de la plume du poète, et de l’attention de son lecteur. Il en découle, au prix d’une certaine lenteur, quelques modestes miracles. Et une envie renouvelée de se lever le matin suivant.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Alegas » Mar 03 Jan 2017, 07:02

Le premier post d'un topic ne peut pas être transformé en critique. Il faudrait que tu la copie/colle dans ton post suivant. :wink:
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Tyrannosaur - 8/10

Messagepar Nulladies » Jeu 05 Jan 2017, 06:30

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Combats des aigres et de chiens.

Prendre de front la violence pour en décliner les ravages : tel est le parti pris de l’uppercut radical qu’est Tyrannosaur. Nulle fascination, nulle complaisance, mais un état des lieux sans appel : dans un univers social où l’aboiement semble être la seule manière réplique envisageable, il s’agit de montrer les crocs pour ne pas tendre la gorge à son interlocuteur. La grande force de la violence ici mentionnée est qu’elle ne se justifie jamais par une quelconque nécessité : jamais on évoque l’argent, ou la correction par une quelconque mafia : les violents comme les victimes ne l’utilisent que comme l’ultime moyen de communication, ayant renoncé à toute autre possibilité d’expression.
Centré dans un premier temps autour du formidable personnage du tout aussi sensationnel Peter Mullan, le récit investit les bas-fonds d’une société alcoolisée, sans autre ligne d’horizon que les briques, sans autre astres que les néons d’un pub. A la lisière de la démence, Joseph laisse éclater la colère qu’il a contre le monde, et avant tout lui-même. Tout y passe, des cloisons vitrées aux animaux, des rencontres inopportunes aux voisins. Ici, le deuil s’exprime à coups de masse contre un abri de jardin, et les derniers relents de force sont moins dévolus à la survie qu’à détruire les fragments de rêve qui peuvent encore subsister dans quelques âmes errantes.
Celle qui croise Joseph, Hannah, propose une nouvelle déclinaison de cette noire exploration. Plutôt aisée, croyante, elle propose de prier pour lui, manière détournée de refouler ses propres abymes, à savoir un enfer conjugal à peine dicible.
Le récit pourrait se résumer à la rencontre de deux récifs abimés par une tempête au long cours. Il pourrait dériver vers un pathos démesuré, ou proposer les voies d’une rédemption un peu trop facile pour qu’on y adhère. Il se contente, en réalité, de suivre son cours. Quelques répits permettent de quitter le misérabilisme le plus noir, sans qu’on puisse pour autant se permettre de véritablement espérer. C’est là l’une des grandes réussites du film, que de mettre en place une empathie pour des personnages tour à tour victimes et condamnés à devenir bourreaux.
La lumière laiteuse de la photographie, l’insistance sur les horizons bouchés de l’espace et les intérieurs blafards est pensé au-delà de la simple laideur d’un milieu social. A plusieurs reprises, une grande profondeur de champ permet de montrer des personnages brisés, inaptes au contact tant ils sont habitués à la haine et aux cris. La géographie spatiale de la rue de Joseph participe de la même idée : un jardin, dans lequel il va détruire l’abri d’un chien victime, et un voisinage dans lequel sévira un chien bourreau, extension de son maitre haineux. Ces échos désespérés, cette spirale tragique conduira les protagonistes à un irréparable paradoxalement salvateur.
Mais de la même façon qu’on ne nous sert jamais le baume attendu, on n’entrave pas la possibilité d’un dépassement. Le constat, terrible, d’une société enlisée dans la violence n’est que le symptôme d’un désespoir, celui d’une solitude insupportable : « Do I smell like a dead animal ? », demande son mari à Hannah avant de la violenter.

Et les récifs, au gré de l’inéluctable dérive des continents, peuvent finir par se rencontrer.
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Manchester by the sea - 8/10

Messagepar Nulladies » Jeu 05 Jan 2017, 06:31

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Silent fight.

Manchester by the Sea traite certes du deuil : mais à bien des égards, c’est un film de fantômes. Des épouses laissées longtemps dans l’obscurité, sans qu’on sache ce qu’elles sont devenues alors que les flashbacks leur donnaient une place prépondérante ; un homme brisé, l’œil hagard, se laissant aller au vin mauvais et aboyant à la cantonade, rivé dans un réduit en sous-sol ne laissant paraitre du monde que la trace furtive des pas des vivants par la lucarne donnant sur la rue ; un jeune adolescent occultant son deuil dans les vaines préoccupations de son âge : le cortège pourrait virer au catalogue, il sonne pourtant parfaitement juste. Grâce au jeu parfait de l’ensemble des comédiens, il va sans dire, mais aussi un soin particulier apporté à l’écriture de leurs interactions. Silence, gênes, malentendus, répliques qui se superposent construisent la mélodie fêlée d’êtres blessés qui tentent avec plus ou moins de conviction d’échanger avec les autres, et surtout un passé qui ne passe pas. Dans cette cohorte de cœurs brisés, la reconquête n’est pas de mise pour tout le monde. Alors que la résilience semble être le lot de la plupart des protagonistes, et notamment des femmes qui reviennent à la lumière pour montrer avec plus d’éclat le chemin parcouru, le personnage principal (Casey Affleck, donc, impressionnant) est le seul à n’avoir par réappris à vivre. Exilé, au service des ordures et de la plomberie déficiente, il a tenté de gommer en lui ce qui est pourtant condamné à ressurgir. « I’m just a back up », dit-il de lui, avant de préciser, plus tard : « There’s nothing there. »
C’est sans compter sur l’omniprésence du passé, et le très bel agencement par lequel celui-ci va rentrer en écho avec le présent : au deuil du frère répond un autre, bien plus violent, révélé par touches successives, contaminant par saccades des instants silencieux du présent. La finesse de l’écriture contribue grandement à la capacité à émouvoir. Un exemple parmi d’autres, la très belle façon de dévoiler les enfants de Lee dans un des souvenirs : le parcours dans les pièces de la maison permet, dans sa gestion de l’espace, de ne révéler leur existence que successivement, comme autant de naissances instantanées.
C’est dans cette force que réside l’intelligence du film, et son habileté à déjouer les multiples pièges du pathos. Parce que le drame se manifeste par touches, avec la pudeur de celui qui l’a vécu trop violemment, l’empathie est rendue possible. Dans la sévérité des éléments, notamment : une terre gelée, une mer froide, une glace irradiée par un incendie tragique ; par le silence ou la musique superposée aux paroles dérisoires, dans deux scènes bouleversantes, la première sur l’Adagio d’Albinoni, étirée en longueur sur les deux époques, et la seconde, splendide, des retrouvailles avec l’ex-femme lors de l’enterrement.
La maladresse des personnages fait aussi la force de leur incarnation : celle du protagoniste n’est plus à démontrer, son immaturité sentimentale semblant s’indexer sur son jeune neveu. Mais c’est aussi celle des femmes, rongées par le remord et laissant, en dépit d’une façade entièrement restaurée, exploser un trop plein d’émotions sur les traumas qu’on avait voulu murer.
Il ne s’agit pas pour autant d’enfermer les figures dans une tragédie destructrice : le cynisme de l’un ou la naïveté de l’autre ne sont que des étapes ; mais la rédemption elle-même échappe aux attendus du genre, car elle passe avant tout par une émancipation. Par les refus qu’il oppose, Lee ne se contente pas de stagner dans son immaturité : il fait sien un deuil qui lui avait été imposé par un testament trop directif. Les ébauches de lumière qui surgissent à la fin prennent le relai d’une parole toujours maladroite : c’est une balle, ludique et innocente, qui prend en charge le nouvel échange en train de naitre.
Il est donc toujours possible d’émouvoir, et de traiter des thèmes sempiternels du deuil, de la paternité ou du couple : Manchester by the sea montre avec brio que la durée des silences, la pudeur face à l’indicible et la dignité des individus en sont les composantes essentielles.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Criminale » Jeu 05 Jan 2017, 21:00

Geniale :super:
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Personal Shopper - 4/10

Messagepar Nulladies » Dim 15 Jan 2017, 07:01

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Ghost 2 : emurgence.

S’il est un reproche qu’on ne peut pas faire à Olivier Assayas sur cette dernière livraison, c’est bien de ronronner ; il fallait oser s’attaquer à cette histoire de deuil affectant une medium dont le frère jumeau vient de mourir, et franchir la barrière qui sépare le symbolique du paranormal.
Le cinéaste ne quitte pas pour autant des thèmes qui lui sont chers, - et c’est peut-être là l’un des symptômes de ce film malade, malhabile et maladroit. Mode, connectivité, art, asservissement, désir, thriller sont saupoudrés dans un maelstrom qu’on pourrait craindre indigeste, mais qui nous laissent la plupart sur notre faim tant ces pistes sont esquissées sans donner lieu à une véritable exploitation.
Kristen Stewart est de tous les plans : on peut comprendre que le réalisateur prenne encore plus de plaisir à la filmer que dans Sils Maria, moins qu’il soit aveugle à ce point sur ses qualités de jeu : faire la gueule, buter sur les mots et passer la main dans ses cheveux semble composer l’intégralité de son catalogue, dans un film qui lui rend hommage en montrant qu’elle est belle sans maquillage et avec des gros pulls, avant de vous rappeler que la top, c’est elle aussi, lorsqu’elle prend la place du mannequin pour lequel elle fait du shopping : scène structurale durant laquelle, Cendrillon post moderne, elle met ses habits sur une chanson allemande (la cohérence de l’ensemble reviendrait à vous recouvrir de choucroute un sorbet) et se masturbe dans la pénombre, à la découverte d’elle-même, de ses désirs, de ses peurs, tout ça.
Un programme psychologique que lui aura proposé un inconnu par SMS dans un échange aussi long qu’un aller-retour en Eurostar entre Paris et Londres, et durant lequel on nous donnera l’intégralité de la conversation. D’ailleurs, l’Iphone, ça a l’air bien, tu vois quand ton message est lu et quand ton interlocuteur en rédige un, j’ai pas ça sur mon Androïd.
Assayas a reçu le prix de la mise en scène à Cannes cet été : probablement parce qu’il démontre que filmer Skype, des vidéos internet et des SMS, donc, souffre de la comparaison avec ses travellings dans les penderies de luxe, les clairs obscurs des maisons hantées et des quatuors à corde pour accompagner un scooter sur le flou outré des boulevards parisiens. Il fallait y penser.
On retrouve çà et là quelques éléments plus assumés par d’autres : la perversité de Verhoeven dans Elle, le glamour glacial de Refn de Neon Demon, autant de concurrents qui, rappelons-le, sont repartis bredouilles de la Croisette ; ici, tout tient de la pose, d’essais qui ne convainquent à peu près personne, du scénariste aux personnages, en passant par le spectateur : l’ennui et le désintérêt sont profonds, (pour l’exposé sur une artiste avant-gardiste dont on ne reparlera jamais, pour un reconstitution d’un film « tacky » des 60’s avec Benjamin Biolay jouant Victor Hugo dans des séances de spiritisme ; SIC), et leur succède au bout d’un moment l’agacement au fil de circonvolutions scénaristiques assez grotesques. Fantôme, ou non, le frère, ou non, l’anonyme, ou non, le paranormal, ou non, les autres, ou moi.
On aurait pu penser que le recours aux spectres serait l’occasion pour le cinéaste d’interroger la matérialité des sentiments : malheureusement, ce défilé inepte et touche à tout nous met surtout face à une insipide désincarnation.
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Inferno (2016) - 3/10

Messagepar Nulladies » Dim 15 Jan 2017, 07:05

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J’ai une vie de merde, merci bien Robert Langdon,.

Il y a deux semaines, j’étais à Florence. Belle ville, fonds culturel inépuisable, patrimoine architectural d’une densité impressionnante, je recommande.

Et puis j’ai vu Inferno, et je me rends compte que j’ai fait un séjour de merde.

Déjà, sur Homelidays, on s’est retrouvé avec un appart au 4ème sans ascenseur, vue sur cour ; je dis pas, c’est typique, mais Robert Langdon, lui, quand il se réveille à l’hôpital, il voit à travers les persiennes le Duomo, le Palazzo Vecchio et toutes les tours de Florence. Genre. Et il paie même pas.

Tu peux pas te garer à Florence, ou alors faut raquer. Pas pour Langdon : il rentre on sait même pas comment dans un garage apparemment gratuit et reprend juste à côté une voiture électrique qui a le don d’éviter tous les embouteillages.

Pour visiter les monuments, tu fais la queue pendant des heures. Alors se pose à toi le dilemme de la Firenze Card : c’est cher de ouf mais c’est un coupe file, et tu vas (presque) partout. Mais le jour où tu te rends compte que devant la Galerie des Offices, y’a une file d’attente pour les détenteurs de la Firenze Card, soit une file pour les coupe file, tu manges un peu ta CB.
Langdon, il rentre partout, et surtout, il sort comme il veut. Il connait tout le bougre, et passe derrière un tableau, voire en fait traverser un par une méchante, il s’en fout quand c’est en travaux, c’est un peu le Passe Partout du monde. Mais en grand, parce que c’est Forest Gump.

Les audioguide, c’est toujours un peu chiant. Les enfants veulent le tien, et puis ils parlent trop longtemps sur des trucs pas forcément intéressants, et puis ça fait mal aux oreilles. Langdon, il en a pas besoin c’est un audioguide à lui tout seul : il t’explique tout, ce que c’est une quarantaine par exemple, même si en français on avait compris, mais en anglais ça claque parce que eux ils disent fourty alors c’est pas pareil. En fait il sait tellement tout qu’on se demande pourquoi il visite encore des trucs.

Ça doit être parce qu’il est amnésique depuis 48 heures. C’est assez sympa comme concept, parce qu’il ne sait pas trop pourquoi il est là, il se rappelle même plus du nom du café (mais l’historique de la quarantaine, si, allez comprendre) et il a plein de choses à découvrir, notamment qu’il a volé des trucs hyper sécurisés un peu comme nous on prendrait une paille au McDo. Ça change de mon trip où tout était prévu à l’avance parce qu’on avait regardé des guides qui nous disaient ce qui était incontournable.

On me dit que je vais voir du Botticelli, du Michel Ange et du Leonardo da Vinci, et ben c’est ce que j’ai vu. C’était émouvant, d’ailleurs, jusqu’à ce que je me rende compte que Langdon il voit beaucoup mieux que moi.

Le Baptistère, par exemple, il était vide, et il a pu fouiller dans les bénitiers, alors que moi j’arrête pas de gueuler sur les mômes en leur disant de toucher à rien. Et les tableaux du Palazzo Vecchio, quand il les regarde, il voit les batailles en vrai, avec le son et tout. On sait pas trop pourquoi mais ça te pose le truc. Pareil pour l’Enfer de Dante : 3D, ville en flamme, des infirmes et des monstres, de la peinture Renaissance version CGI 2016, t’as un peu l’impression d’être à Vegas, là tu regrettes pas le voyage.

Et puis les gens qu’il côtoie se décarcassent toujours pour faire de son séjour une surprise continue. La nana, elle devient méchante, l’autre qu’était méchante, elle devient gentille, le noir de Fred, il est gen - non méch - non gen- je sais plus mais il meurt, et l’indien pareil mais dans l’autre sens. Moi je suis parti avec ma femme et mes enfants, et je suis rentré avec eux. Bonjour l’aventure.

Quand on a voulu sortir des sentiers battus, on est allés sur la colline qui surplombe la ville, et on l’a vue de haut, c’était beau. Langdon, pour varier, dans la même journée il va à Venise puis Istambul. Je me sens un peu minable, du coup.

On a pas pu voir les Jardins de Boboli. Langdon si, bien sûr, mais il l’a fait en courant avec un drone qui le filmait, sympa le film de vacances si tu compares avec le mien pris avec mon téléphone, où tu vois ma main et plein d’asiatiques derrière nous.

En plus, chez lui, t’as quand même un mec qui propose bien mieux que la Firenze Card : éliminer 50 % de la population mondiale, si c’est pas concurrentiel comme coupe file, je sais pas ce qu’il vous faut.

Alors voilà, merci bien, je suis un peu chiffon.

Mais j’ai quand même vu un truc génial qu’il a pas vu : l’exposition de Ai Weiwei, Libero, au Palazzo Strozzi,.
Y’a notamment toute une série de photos, « Etude de perspective », qui consiste à faire des doigts d’honneur devant les grands monuments du monde entier. Ça, Langdon il peut pas comprendre et il a rien à nous réciter dessus. Ça m’a inspiré cette critique que je lui dédie bien profond.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Alegas » Dim 15 Jan 2017, 11:47

Alegas a écrit:Le premier post d'un topic ne peut pas être transformé en critique. Il faudrait que tu la copie/colle dans ton post suivant. :wink:


Je relance. :wink:
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La La Land - 9/10

Messagepar Nulladies » Dim 22 Jan 2017, 19:55

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Messed Pride Story

Tout spectateur connait cet instant rare ou, au terme d’une séquence, sa mâchoire s’affaisse légèrement pour exhaler un « whaou » discret que ses voisins pourront entendre ; ébloui, emporté, cloué au siège, il n’a que le temps de reprendre son souffle avant que le récit ne reprenne.
C’est ce que peut procurer le prologue de La La Land, à la faveur d’un embouteillage chromachorégraphique d’anthologie, nous renvoyant à l’enthousiasme le plus juvénile du 7ème art : la comédie musicale, son mouvement et sa transfiguration par la mélodie.
Après avoir considéré la performance musicale comme un sport de combat dans Whiplash, Chazelle opère une double évolution : il semble rentrer dans un modèle traditionnel et codé, tout en s’y épanouissant pleinement, en délaissant la quasi-totalité des facilités auxquelles il cédait auparavant.
Car c’est bien d’ampleur qu’il s’agit. En terme de mise en scène, la fluidité est constante, en osmose avec la musique et les danses, assumant son ambition classique anachronique. Les couleurs éclatent, dans des panels de robe ou de décors à l’expressionisme croissant, jusqu’au final reprenant trait pour trait le carton-pâte des grandes comédies de l’âge d’or, comme Singing in the Rain. La lumière, outil essentiel, ne cesse de marquer les transitions entre les scènes musicales et l’arc narratif : le noir évacue la foule, les projecteurs isolent les protagonistes, tandis que les jeux sur la vitesse achèvent de transformer chacun de leurs déplacements en trajectoire d’exception. Faux ralenti qui renvoie explicitement à West Side Story, séquences de montage baroques et bigarrées, jusqu’à l’uchronie finale, le film entier est une chanson vouée à être réécoutée ad libidum.
Bien entendu, il s’agit de jouer le jeu face à une telle débauche d’effets. C’est là l’une des petites malices du film, que d’instiller quelques distances comiques susceptibles de remettre les pendules à l’heure du XXIème siècle : une satire amusée de la vie folle de L.A., et un regard presque lucide sur l’usine à rêve : un iPhone qui vient rompre un ballet amoureux, la pellicule de La Fureur de Vivre qui crame au moment décisif, tout annonce les compromis auxquels sont prêts les ambitieux protagonistes. L’amateurisme classieux des comédiens joue aussi sur cette partition : la raideur de Gosling qui ni un danseur, ni un chanteur né (mais en revanche, un pianiste convainquant), la voix modeste d’Ema Stone contribuent à quelques remises en question du spectacle, au profit, peut-être, d’une identification plus grande du spectateur, à l’échelle de la superbe mixité du prologue.
Car dans cette ville éponyme, décors de studios et rues se confondent, et tout ne fonctionne que pour construire de l’illusion : Chazelle rappelle en permanence le factice du monde dans lequel évoluent les personnages, qui ne désirent rien tant que d’en gravir les échelons. La structuration du film elle-même est ironique, puisque le déroulé des saisons voit défiler un climat constant. Alors que les fresques des stars sont le décor des chambres ou des façades dans la première partie, Sebastian et Mia sont voués à devenir eux-mêmes des affiches ou des enseignes. La frénésie de cette ville, dont le couple est un maillon consentant, se résume dans une phrase essentielle prononcée par Sebastian : “That’s L.A. : they worship everything and they value nothing”
En découle ce questionnement sur les compromis, et une réflexion en abyme sur le film lui-même : pourquoi reprendre une forme ancienne ? Pourquoi vénérer un âge d’or, alors qu’on pourrait renouveler la forme ? C’est ce que dit le personnage de John Legend à Sebastian, adorateur du jazz ayant des scrupules à le dénaturer dans une version mainstream au gout du jour :
“How are you gonna be a revolutionary if you're such a traditionalist ?”
Cette ambivalence entre la tradition et la modernité irrigue l’ensemble du film, dont un passage très drôle sur la pop des années 80, de l’ascension sociale à l’apesanteur dans un planétarium, du screwball au renoncement pragmatique, de l’amour atemporel aux écorchures des circonstances.
(spoil)
Le pathos attendu restera lui-même très terre-à-terre, nouvel écho au travail de l’artisan illusionniste : le sacrifice nécessaire, pour faire rêver les autres, de ses émotions propres, au profit d’une lucidité, victorieuse, certes, mais un peu triste.

Reste donc le refuge de cette dernière séquence : un nouveau film à l’intérieur de leur histoire, et la croyance intacte dans la capacité du cinéma à cautériser, le temps d’une symphonie colorée, les plaies du réel.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Mark Chopper » Dim 22 Jan 2017, 20:25

Alegas a écrit:
Alegas a écrit:Le premier post d'un topic ne peut pas être transformé en critique. Il faudrait que tu la copie/colle dans ton post suivant. :wink:


Je relance. :wink:


Tu vas commencer à te sentir seul :chut:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Dunandan » Dim 22 Jan 2017, 20:42

Dans le pire des cas les modos ont le pouvoir de le faire hein, mais bon c'est clair que Nulladies n'est pas très réactif pour le coup ^^.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2017

Messagepar Nulladies » Mer 15 Fév 2017, 07:22

Alegas a écrit:
Alegas a écrit:Le premier post d'un topic ne peut pas être transformé en critique. Il faudrait que tu la copie/colle dans ton post suivant. :wink:


Je relance. :wink:


Ah ben mince, je n'ai jamais eu de notif pour les commentaires sur mon topic, désolé. Je vais m'en occuper.
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Paterson - 7/10

Messagepar Nulladies » Mer 15 Fév 2017, 07:23

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Le cercle des poètes disparates

Lorsqu’un poème est écrit en prose ou en vers libre, il perd instantanément la faculté d’immédiate séduction qu’avait son prédécesseur en vers : la rime, le rythme, musique et cadence de la forme dont la perfection impressionne et suscite l’admiration : pour la beauté, pour la maitrise.
Dénué de ces contraintes, le poème devient mystère : pourquoi tel enchainement de mot serait-il subitement poésie ? Quelle valeur attribuer à ces termes ? A ces sonorités, ces répétitions ? Une attente nait chez le lecteur, - non loin de l’angoisse pour certains - : que me dit-on ? Que dois-je voir ? Qu’est-ce qui pourrait m’échapper et relevait pourtant de l’art ?
Cette question semble à l’origine même de l’écriture de Paterson, et, quand on y songe, préoccupe Jarmusch depuis ses débuts : traquer les traces poétique dans l’insolite du quotidien, que Perec nommait si bien l’infraordinaire.
C’est donc aux antipodes absolus d’Only lovers letf alive que se situe ce nouveau chapitre de sa filmographie. Le récit, organisé par journées sensiblement identiques d’une semaine de labeur, suit la routine de Paterson, chauffeur de bus dans une ville de seconde zone qui avait tout pour être qualifiée d’anonyme. En véritable ethnologue, Jarmusch décline tous les éléments de cette ville où se succèdent la brique et les friches industrielles : conversations des passagers du bus, préoccupations de ses collègues ou de l’épouse en femme d’intérieur, jusqu’au barman, sorte de gardien de musée : tous ont à cœur de défendre leur ville, et notamment ses illustres natifs, l’occasion pour le cinéaste du name dropping un peu vain dont il est coutumier.
Nul événement, donc, et presqu’aucun élément perturbateur : l’écriture des poèmes, au contraire, exacerbe l’absence de drame puisqu’elle se focalise, à l’image de celle de William Carlos Williams, cité à l’envi, sur la description des éléments les plus inertes et banals.
C’est là l’une des étonnantes mauvaises surprises du film : les séances d’écriture et l’esthétique qui les accompagne. Le texte à l’écran n’est déjà pas du meilleur effet, mais les fondus enchainés et les plans d’eau viennent encore alourdir la charge, et desservent beaucoup la légèreté assumée des vers en question.
C’est d’autant plus étonnant qu’en matière de poésie, la forme du film lui-même est travaillée avec une grande pertinence. Tout ce qui fait la singularité bien connue de Jarmusch s’articule exactement comme un poème. C’est, tout d’abord, le principe des rimes internes et de la musicalité qui structure ces éléments apparemment anodins. On ne reviendra pas sur le fait qu’Adam Driver joue un bus driver du nom de Paterson dans la ville du même nom. Le motif des « twins » par exemple, évoqué comme un rêve de Laura au premier matin, se retrouve ainsi dans un nombre incalculable de scènes : enfants, vielles dames, amis, tous semblent vivre sous ce régime particulier ; de la même manière, la « boule de feu » crainte pour l’accident de bus revient dans trois bouches différentes, et les « water falls » occupent une petite fille rencontrée « au hasard » comme l’épouse le soir même. De ce fait, les coïncidences ne sont plus de mise, et Jarmusch souligne avec plaisir, comme il le faisait déjà dans Ghost Dog, les harmonies et les échos entre les conversations et les situations : aucune rencontre n’est due au hasard, et l’on s’en étonne à peine.
Mais au-delà de cette écriture, c’est l’insolite qui prend encore davantage la charge poétique, avant tout incarné par le personnage de Golshifteh Farahani : son obsession pour le graphisme, son désir de réussite, ses lubies illuminent autant qu’elles inquiètent avec tendresse. La distance de Paterson sur ce grain de folie semble à l’unisson de celle du scénariste, tout comme l’amour éperdu qu’il lui voue. L’étrangeté n’est pas ici une fin en soi – comme elle a pu l’être par moments chez Jarmusch : c’est un levier vers la contemplation, une attention accrue qui est celle de la plume du poète, et de l’attention de son lecteur. Il en découle, au prix d’une certaine lenteur, quelques modestes miracles. Et une envie renouvelée de se lever le matin suivant.
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Jackie - 9/10

Messagepar Nulladies » Mer 15 Fév 2017, 07:24

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Sans la légende

Toute la grandeur Jackie tient sur une idée élémentaire : traiter la quintessence de l’Amérique par un réalisateur étranger, à savoir le chilien Pedro Larrain. Sorti à quelques mois d’intervalles de son précédent et complexe Neruda, ce nouveau biopic emprunte à son prédécesseur la singularité d’une forme tout en faisant évoluer son regard : Larrain délaisse ici la distance ironique et les transgressions narratives qui faisaient la saveur de Neruda, pour oser l’empathie et le lyrisme.
Resserré sur une unité de temps assez dense, de l’assassinat de son mari à ses funérailles, le récit tourne autour de la question essentielle de l’image : qu’est la posture d’une first lady ? Alors que Jackie s’était acquittée de sa tâche avec ferveur – en témoigne ces formidables séquences de tournage à l’intérieur de la Maison Blanche lors d’un reportage inside contribuant à faire du lieu, soit disant, la maison du peuple – la voici contrainte à improviser ses adieux à la scène : quel est le rôle à jouer ? Quelle est la trace à laisser ? Quelle est l’icône à contrôler ?
La question obsédait déjà Neruda : mais la satire d’un poète national que Larrain connaissait trop bien fait place à un portait résolument cubiste : Larrain donne accès à des vérités profondes, à la sincérité d’une douleur qui ne va cesser de se diluer, de se fragmenter sous le glacis du protocole. Jackie n’est pas brisée par le système et les conventions : elle les incarne, les intègre, voire les forge elle-même avec une conviction profonde. Elle reprend ce que disent tant d’Américains dans les films à leur gloire : « I’m just doing my job ».
La conversation avec un journaliste, une semaine après les événements, est le prétexte d’un récit qui va osciller entre la sincérité et le discours à la nation : le off, dans lequel se logent les plus belles séquences, souvent muettes, et le in, ou comment forger une statue pour la postérité. La musique extraordinaire de Mica Levi l’annonce dès l’écran noir qui ouvre le film : mélancolique, un chant puissant de cordes qui se désaxe de sa tonalité d’origine, comme lorsqu’on ralenti un vinyle à la main : la dissonance de l’authenticité.
Toute la force de Jackie réside dans son montage. Alors que dans Neruda, Larrain usait du procédé un peu poseur du cut consistant à conduire un même dialogue sur plusieurs lieux différents, il l’amplifie ici sur une voie narrative traversant les lieux et les circonstances. On ne quitte jamais la protagoniste, souvent enfermée dans un gros plan qui ne cesse de lui rappeler à quel point elle est scrutée et doit veiller à garder une contenance.
C’est peu de dire que Nathalie Portman excelle dans son rôle : non seulement pour le travail de composition, mais aussi parce qu’elle parvient à montrer le travail d’une actrice, la façon dont un visage se fige et se prête au jeu de la photographie sur papier glacé.
La diversité des interlocuteurs (son assistante, sorte de coach qui lui apprend à jouer son rôle, son beau-frère, un prêtre, le journaliste) et ses instants de solitude se mêlent en un écheveau complexe qui délivre, par fulgurance la vérité d’un être. I lost track of what was real, what was performance, avoue-t-elle au cours de son entretien : Larrain reprend ces diverses pistes et les dissémine sur une palette émotionnelle et graphique de toute beauté : chaque pièce a sa propre couleur, chaque scène son atmosphère lumineuse. La fragmentation va plus loin, sur la personne de Jackie elle-même qui défile avec toute la gamme chromatique de ses robes dans l’un des sommets du film, son errance alcoolisée dans la Maison Blanche dont elle est désormais la veuve. Et le morcellement ultime, sur lequel elle revient souvent, est celui de la boite crannienne de son mari, qu’elle essayait de re-solidariser après le deuxième coup de feu. La plus célèbre de ses tenues, le tailleur Channel rose portée le jour de l’assassinat, restera maculée de sang à sa sortie d’avion : pour, dit-elle, qu’ils voient ce qu’ils ont fait. L’Histoire s’écrit aussi avec du sang.
La ferveur avec laquelle elle va organiser les obsèques de son mari, jusqu’à une forme de démesure, dit la crainte de ne pas s’inscrire suffisamment dans cette Histoire qui dévore. Toute la finesse du portrait consiste à opérer une double progression : celle d’un succès, la postérité étant la preuve du sens aigu de Jackie en terme de communication, suivie de près par un dépassement intime qui vise à reprendre sa place d’individu. La très belle conversation avec le prêtre remet les choses à leur place : il lui révèle en substance que faire face à l’obscurité, au silence de Dieu et à l’absence de sens peut certes conduire au suicide ; mais que la plupart du temps, on se relève le lendemain pour faire couler un café. Qu’il ne s’agit pas tant d’accepter l’absurde de notre vie que notre capacité à accepter l’inacceptable, et à continuer, tant bien que mal, à avancer. Que cette réalité ne fait pas pour autant de nous des êtres méprisables.
Après avoir joué avec conviction et succès son rôle de mère éplorée de la Nation, Jackie parle à nouveau à la première personne. De ces obsèques, (That was spectacle, dit le journaliste) elle avoue la vraie nature au prêtre : That was for me. Et de les doubler d’un geste autrement plus intime, celui de l’enterrement de ses deux enfants auprès de leur père.
Jackie est devenue un être complet : une légende forgée dans le sang, et qui devient un mannequin aperçu fugacement dans l’ultime scène au sortir d’un camion où l’on produit en série sa statue glamour. Une icône satisfaite de la tâche accomplie au service des artifices de l’Histoire, à l’instar de cette chanson qu’elle écoute en boucle : « One brief shining moment ». Une femme et une mère en deuil, prête à se retirer de la scène pour enfin laisser le décor s’effondrer sous le prisme informe de ses larmes.
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Silence - 6/10

Messagepar Nulladies » Mer 15 Fév 2017, 07:26

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Mission impassible

Il est des sujets autour desquels Scorsese tourne depuis le début ; à certaines étapes de sa filmographie, il s’y confronte sans détour. La religion, qui l’obsède et torture un grand nombre de ses personnages par les thèmes de la grâce et de la rédemption, fut le sujet même de La Dernière Tentation du Christ, et, dans une autre mesure, de Kundun. L’idée était toujours la même : questionner le déchirement entre le sublime de la foi et les failles de celui qui la représente lorsqu’il s’incarne en être humain.
Silence reprend cette thématique, dans un contexte plus modeste : du Dieu en question, nous n’entendrons pas la voix : ce silence éponyme est au cœur du questionnement des hommes qui le servent, pères portugais partis au Japon pour tenter de poursuive une évangélisation qui fait face à toutes les exactions.
Le sujet est passionnant : moins dans cette lutte barbare qui voit les chrétiens contraints à renier leur foi sous la torture, que dans la question même de l’exportation d’une religion sur un autre continent : la résistance de celui-ci, le dévoiement du culte (la belle scène de baptême qui conduit au malentendu sur le Paradis), et les débats entre l’inquisiteur ou l’apostat et le Père Rodrigues sur le rôle du Christianisme au Japon : femme laide et stérile, ou grâce divine universelle répandue à travers le monde.
Le roman de Shûsaku Endô doit probablement restituer avec intelligence toute cette fébrilité théologique. Scorsese, de son côté, a beaucoup plus de mal à l’adapter.
Silence est d’une terrible maladresse dans sa structure, son rythme et son traitement. Passons sur l’interprétation un peu laborieuse de Garfield (qui, surtout dans ses premières apparitions, semble un clone de Scorsese dans sa prime jeunesse) et cette nécessité toujours aussi grossière de tourner en anglais (déjà pénible dans Kundun) alors que l’affrontement linguistique portugo-japonais eût été d’un grand intérêt.
Scorsese prône ici une ascèse aux antipodes de son style habituel (le grand écart est violent avec Le Loup de Wall Street, ce qui est tout à son honneur) : pas de musique (une très bonne idée, qui évite de surligner davantage les laborieuses répétitions), de longs débats, et une lutte interne qui conduit l’homme sur les rives de la folie. De ce point de vue, les similitudes avec La Dernière Tentation sont nombreuses.
Le problème, c’est le déséquilibre de la mise en scène : à la mesure (les scènes d’intérieurs, l’espace savamment découpés de l’architecture japonaise, les tableaux assez somptueux des paysages marins dans la brume) succèdent des mouvements savants et dispensables, comme des plongées ou zooms démesurées, virant jusqu’à l’obscénité lorsque la caméra commence son plan à l’envers pour filmer le visage d’un supplicié suspendu par les pieds.
L’écriture du récit elle-même accuse les mêmes maladresses : on a beaucoup de mal à comprendre l’intérêt d’avoir considéré comme définitif un montage aussi long et redondant. Toujours aussi fasciné par la violence, Scorsese cède trop facilement à son plaisir un brin sadique de nous décliner tout le catalogue des tortures envisageables, quand bien même elles sont probablement historiquement véridiques. Tout ne cesse de se répéter : les épreuves, les trahisons, les confessions de Kichijiro (quatre, cinq occurrences ?!), la douleur et la résistance.
C’est d’autant plus regrettable que l’évolution du personnage est tout à fait intéressante.
Les questions qui torturent le Père Rodrigues dans son épreuve sont celles de son humanité : faire face au silence de Dieu qui ne lui apporte aucun réconfort, et explorer la tentation de l’orgueil, lorsqu’il s’identifie au Christ crucifié, afin de justifier qu’on puisse mettre à mort pour lui les paysans martyrs.
(Spoils) Le choix de l’apostasie représenté par le Père Ferreira qui attend deux bonnes heures avant de réapparaitre est ce point de vue fascinant et questionne tout le protocole dogmatique de l’Eglise : que signifie réellement le fait de piétiner physiquement une icône lorsqu’on a la foi ? Les deux instances sont renvoyées dos à dos : l’Eglise, qui multiplie pour les illettrés les signes extérieurs et matériels de son prosélytisme, et l’autorité nippone qui encourage le renoncement en expliquant qu’il ne s’agit que d’une formalité.
Le long épilogue prend un sens réel à l’épreuve de ce nouveau silence. Les prêtres ne prêchent plus, et sont complices de leurs tortionnaires, mais des indices ne trompent pas quant à leur engagement intime. Le silence a changé de camp : il était l’indifférence d’un Dieu inaccessible, il est devenu la manifestation inébranlable d’une foi qui délaisse les questions humaines de pouvoir, de politique et d’éducation. Cette accession, par l’ascèse et l’épreuve, à la forme la plus pure de l’amour, cette expérience de la sublimation donne du sens à ce qui précède, sans pour autant justifier la lourdeur du chemin de croix pour y parvenir.
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