Contrairement à ce que peuvent penser beaucoup de personnes aujourd'hui, la conception d'une troisième trilogie Star Wars ne date pas du rachat de Lucasfilm par Disney. Au contraire, l'idée a toujours été présente dans l'esprit de George Lucas, lui qui déclarait il y a bien longtemps que sa volonté était d'offrir trois trilogies aux histoires radicalement différentes, et où les seuls personnages communs seraient les deux droïdes R2D2 et C3PO. Depuis, évidemment, l'idée a évoluée en quelque chose de plus commercial, et si la prélogie a bien aboutie sur nos écrans, la trilogie qui devait donner suite à
Return of the Jedi a finalement été abandonnée par son créateur, certainement à cause des critiques reçues depuis 1999 (voire même bien avant) sur la façon de gérer sa création. Reste que la perspective de connaître la suite des aventures de Luke Skywalker, Han Solo et la princesse Leïa a nourri durant plus de trente ans des fantasmes gigantesques, la preuve étant le fameux Univers Étendu qui a permis, avec des cycles comme le Nouvel Ordre Jedi, a de nombreux fans à l'époque de ne pas s'arrêter à ce que proposait la trilogie originale.
Du coup, à partir du rachat par Disney, la suppression pure et simple de l'Univers Étendu et la mise en chantier d'une nouvelle trilogie, l'excitation se confondait avec l'appréhension : est-ce que Disney allait continuer les travers de Lucas, ou est-ce que la génération nourrie par l'univers Star Wars allait reprendre les choses en main et les respecter ? La promotion de ce septième épisode, certainement l'un des films les plus attendus de ces dernières décennies au niveau mondial, a mis quasiment tout le monde d'accord : il n'était pas question ici de succéder à la bouillie numérique de la trilogie, mais bien de retrouver un esprit Star Wars oublié, celui de la trilogie originale, autant dans l'esprit que dans la conception. A défaut d'être réellement réjouissant, le choix de J.J. Abrams en tant que réalisateur a le mérite d'avoir une certaine logique. Car qu'on aime ou pas le bonhomme, il a su prouver sa capacité à relancer des franchises avec son Star Trek, et surtout il fait partie de cette génération nourrie au cinéma des années 80, idolâtrant le mythe Star Wars quitte à n'avoir aucun recul sur ce dernier.
C'est à partir de là qu'arrive le paradoxe de ce septième film :
The Force Awakens part toujours avec de bonnes intentions, mais les applique avec un dévouement tellement aveugle qu'il n'en ressort quasiment rien de nouveau. Nombreux auront été les spectateurs à cibler du doigt le schéma narratif reprenant quasiment à l'identique celui du film de 1977, et si l'idée de reprendre les grandes lignes apparaît sur le papier comme quelque chose de logique (après tout, la trilogie originale a toujours été un récit campbellien, normal de reprendre cette base) le décalque est tellement peu inspiré à l'écran que ça en devient parfois ridicule. Un héros perdu sur une planète désertique, un droïde aux données vitales à protéger, une découverte progressive de la Force, un Empire, une Rébellion, une machine destructrice de planètes, une cantina, le copier/coller est évident. Encore une fois, c'est un point qui aurait pu être aisément pardonnable si le film cherchait à côté à atteindre des horizons jamais frôlés dans l'univers Star Wars, mais que nenni : à l'exception d'une séquence de flashbacks où la Force agit comme une faille temporelle mystique, la totalité des éléments du récit apparaissent trop sages, témoignant de l'incapacité de Abrams d'être autre chose que l'élève studieux reproduisant son modèle. A ce titre, les planètes visitées dans cet opus donnent toujours l'impression d'avoir déjà été vues ailleurs, et de ce côté là même la prélogie avait plus de culot en offrant plus de rêve à l'écran.
Néanmoins, il faut rendre à César ce qui appartient à César, car il y a énormément de choses positives qui découlent de ce film. Tout d'abord, au-delà du fait qu'Abrams soit incapable d'inventer quelque chose dans cet univers, il a tout de même l'énorme mérite, lui et Kathleen Kennedy, de revenir à une manière de concevoir Star Wars. Beaucoup appelleront ça du fan-service, mais c'est surtout de l'amour pour le Star Wars d'origine, celui qui ne baignait pas constamment dans le numérique, celui où la direction artistique héritée des pulps SF côtoyait des héros sortis de western ou de récits de chevalerie, celui où tout paraissait possible. Et si le défi n'est pas complètement relevé, il y a dans ce film une note d'intention évidente pour le reste de la trilogie, appelant à la fois les vieux comme les futurs fans, quelque chose d'inter-générationnel. D'autant que la mise en scène prend un sérieux coup d'envol avec ce film : jamais un Star Wars n'a autant été dans le mouvement et pour le coup le style de J.J. Abrams, dénué de la plupart de ses gimmicks (les flares sont assez rares), s'accorde parfaitement à l'action (bon par contre il y a parfois des idées de merde, genre le dernier plan est absolument affreux alors que c'était clairement un des trucs à ne pas rater). Alors clairement, ça manque d'un vrai réalisateur pour avoir des séquences d'action réellement mémorables, ici les combats que ce soit au sabre ou en vaisseau sont assez anecdotiques, malgré une envie de bien faire (pour le coup c'est assez diversifié, entre le climax dans les bois enneigés ou la course-poursuite dans une épave de star-destroyer).
Là où le style d'Abrams colle moins, ça va être dans la gestion du rythme : le réalisateur est connu pour donner à ses films un rythme télévisuel, où le spectateur ne s'ennuie jamais, et là en l’occurrence ça se fait au détriment des personnages vu que Abrams gère moins bien les séquences où il faut se poser et développer. Il en résulte des ventres mous (toute la séquence du cargo avec les monstres donne la cruelle impression d'être rajoutée à la va-vite) et surtout des personnages pas spécialement marquants. Alors oui, ils sont immédiatement sympathiques, et sont souvent la source de bonnes idées (le statut de traître pour Finn, d'ailleurs le coup du sang sur le casque c'est assez génial comme idée, Kylo Ren qui est tenté par le côté clair de la Force, etc...) mais ça manque cruellement de charisme alors qu'en un seul film Luke, Leïa et Han étaient de vrais icônes. D'ailleurs, gros point fort sur cet opus qui remet les compteurs à zéro en faisant des anciens héros ce qu'ils auraient dû initialement devenir à la fin de la trilogie originale, et si Leïa n'est pas assez développée pour convaincre réellement il suffit d'un plan sur Luke pour péter la classe en dernier jedi exilé.
Sur les antagonistes, Kylo Ren est un très gros potentiel (les Chevaliers de Ren !), et pour le coup c'est assez inédit une telle menace qui doute énormément d'elle-même, il faut vraiment voir comment ce sera traité par la suite mais j'ai envie d'y croire, par contre pour le reste c'est clairement pas assez développé avec en particulier Snoke et Phasma qui donnent surtout l'impression d'être des personnages posés là pour être utilisés plus tard. Côté BO, c'est peut-être bien la première fois que John Williams me déçoit sur un Star Wars, il n'y a qu'un seul nouveau thème qui fonctionne vraiment, celui de Rey, et le reste fait vraiment composition en mode automatique. Clairement un film introductif, avec les qualités et défauts que ça sous-entend. Vu l'inspiration de la trilogie originale, je n'aurais pas craché sur un film qui se suffise à lui-même, mais là en l’occurrence c'est la première fois qu'un Star Wars va autant dépendre de sa suite. Mais pour le coup, vu l'implication de Rian Johnson, qui m'a l'air d'être un réalisateur conscient de l'héritage mais qui a une volonté de changement, je suis très confiant sur ce qui va suivre. Réponse dans quelques heures.