Jimmy Two Times a écrit:T'es un peu dur pour le coup. Peut être le film le plus théâtral de Gray effectivement. Tout me parle de mon côté. La tragédie la plus pure et le polar s'entrecroisent pour un résultat parfait. Un film que je ne me lasse pas de revoir et qui me file des frissons à chaque fois, quelques notes du sublime score d'Howard Shore suffisent à me faire chavirer. Sûrement le même effet que semble produire Two Lovers sur certains d'entre vous, alors qu'il me laisse un peu de marbre pour ma part.
Justement, c'est cet entrecroisement qui ne fonctionne pas toujours pour moi. Two Lovers s'assume comme un pur mélo et le fait à mon avis très bien. Alors que là, on a plusieurs directions un peu excessives, des traits un peu forcés.
pabelbaba a écrit:Je suis du même avis que Nulladies sur celui-là, enfin pour ce que j'en ai compris. La phrase avant le spoiler m'échappe un peu.
Du coup j'ai arrêté Gray là.
Oué, je fais dans l'alambiqué par moments Ce que je veux dire, c'est que ce romanesque est trop appuyé : on force la dose dans le renversement : il était frère il devient proscrit, il était adulé il devient gênant, il était évincé amoureusement il devient indispensable... Et la mort qui survient est vraiment too much en ce qui me concerne.
J'ai réévalué La nuit nous appartient à la hausse, j'en parlerai demain.
On pourrait très vite condamner La nuit nous appartient en y fustigeant une copie presque conforme de The Yards, le précédent film de James Gray. Mêmes enjeux d’une fratrie (thème qui plus est déjà largement exploité dans Little Odessa) divisée, du monde criminel (jusqu’à un nouvel emprunt au casting du Parrain, après James Caan, ici Robert Duval), du changement de camp, même nuit constante sur une ville étouffante… Pourtant, à bien y réfléchir, les légers déplacements opérés par le cinéaste jouent en faveur de cet opus. A plus clairement différencier les partis (deux frères, l’un gangster, l’autre flic), il prend le risque d’une caricature qui va en réalité épaissir des personnages. Certes, la tendance des dialogues à sur-expliciter les enjeux peut s’avérer un peu fatigante, et certains traits pour bien marquer la tragédie restent épais. Mais Gray lâche aussi la bride à ses caractères, servis par des comédiens à la présence magnétique : du sexe (fantastique scène d’ouverture mêlant Blondie Eva Mendes & Joaquin Phoenix), de la violence, de la haine, et, surtout, de la défaite. Comme souvent chez Gray, les stratégies sont conduites à l’échec. L’intrigue ici présente n’y échappe pas, et c’est dans ces béances que se jouent les motifs les plus intenses du film : échec à définir le rôle de chacun, à garder une femme, à se garantir la protection d’un père, qu’il soit adoptif ou non. Les repères se dissolvent un à un, et cette recherche d’un ordre sur les cendres du précédent occasionnent des évolutions moins grossières qu’auparavant. Cette quête familiale, moins soumise à une écriture dramaturgique, gagne d’autant plus en crédibilité qu’elle s’accompagne d’une mise en scène qui gagne elle aussi en ampleur. S’il maintient cette adoration pour la nuit, les intérieurs saturés d’une foule familiale ou communautaire, James Gray voit aussi plus grand : sa façon de filmer le night-club, par exemple, témoigne d’un lyrisme nouveau, et cette fougue se retrouve dans les scènes d’action, particulièrement bien menées : l’infiltration dans le labo de drogue est ainsi d’une tension redoutable. De la même manière, la course poursuite possède une véritable singularité : pluie, nuit, absence de musique, bruitage obsessionnel des essuie-glaces exploitent le regard rêche du réalisateur au profit d’un découpage extrêmement efficace. Le recours au flou et aux limites de la vision sera ré-exploité dans la scène finale, très belle traque où le graphisme des joncs secs envahis par les fumigènes magnifie comme il se doit les enjeux dramatiques. Film de la maturité, La nuit nous appartient montre un cinéaste en pleine maitrise de ses moyens : la conclusion d’une trilogie tragique, synthétisant la puissance émotionnelle du premier volet et l’amplitude visuelle du second. Une maturité d’autant plus prégnante que Gray lui-même semble avoir compris que ce point d’équilibre n’avait pas besoin d’être davantage exploré, ayant depuis changé radicalement de registre.
Le cas de Two Lovers dans la filmographie de James Gray devrait servir d’exemple à tous les cinéastes frileux à l’idée de quitter leur zone de confort. Après trois films qui explorent les mêmes thématiques (tragédie familiale, monde du crime, nuit urbaine), le cinéaste change totalement de registre pour prendre à bras le corps un triangle amoureux. Pour acter sa capacité à se renouveler, il embarque à sa suite son comédien fétiche, Joaquin Phoenix qui va y trouver aussi l’occasion de prouver l’étendue de son répertoire. Son personnage bénéficie en effet d’une écriture particulièrement complexe : suicidaire bipolaire, il ouvre le récit sur une pathétique tentative de suicide, avant de rentrer penaud dans un appartement où il semble jouer le même rôle depuis l’enfance. Choyé par des parents qui ne veulent que son bien, il a pris le parti d’une toute petite vie qu’on va régler pour lui, par inquiétude et maladresse. La grande évolution de ce film par rapport aux précédents réside dans sa subtilité : jamais Gray ne condamne un personnage, exposant davantage sa fragilité que ses torts. Certes, on dicte à Leonard sa vie et sa destinée professionnelle et amoureuse, mais c’est toujours avec bienveillance. Et lui-même sait rendre à ceux qui l’entourent leur amour, notamment en les faisant rire, au fil de scènes touchantes et particulièrement justes. La rencontre arrangée avec Sandra pourrait se suffire à elle-même tant les deux prétendants sont convaincants. Mais Sandra a un tort, qui semble faire écho aux précédents personnages de Gray (et notamment la relation amoureuse entre cousins de The Yards) : elle est disponible, et ne bénéficie pas de la passion qui peut surgir de l’interdit. Michelle, (Gwyneth Paltrow probablement dans le rôle de sa carrière) elle, est une révélation. Sa splendide apparition à reculons sur le palier résume tout son personnage : l’évidence de sa présence, sa spontanéité, le bourbier dans lequel elle est empêtrée. L’obsession qu’elle va générer se matérialise par sa présence dans le bâtiment, les deux pouvant communiquer par le biais des fenêtres sur la cour. Leurs rencontres sur le toit, au-dessus d’un monde que Leonard veut fuir, exacerbe le romantisme qu’il a laissé sommeiller en lui : en hauteur, mais aussi dans le froid de l’hiver et les sifflements d’un vent hostile. Gray marche sur un fil : à la fois lyrique en diable (notamment par l’exploitation du tube d’Henri Mancinin, Lujon https://www.youtube.com/watch?v=lehPYK0JX9M ) et d’une modestie profondément authentique, rivé à ses personnages sans pour autant gommer leur naïveté et leurs aveuglements respectifs, le cinéaste laisse s’épancher un petit mélo intimiste au sein d’une unité de lieu presque hors temps ; ménageant quelques embardées à l’extérieur (la très belle scène de boite de nuit, la rencontre avec l’amant de Michelle, et bien entendu, l’océan qui ouvre et clôt le récit), il opte surtout pour un cadre serré, des intérieurs au sein desquels l’épanouissement semble impossible, mais en dehors desquels l’illusion d’un ailleurs idyllique s’estompera. A ce titre, la gestion symbolique de l’espace est limpide : la fuite prévue se fait par une descente : la valise jetée dans la cour, l’attente sur le sol de celle-ci alors que l’amour avec Michelle s’est toujours situé dans les hauteurs (la fenêtre, le toit…) : un retour sur terre que Leonard sera tenté de poursuivre en descendant encore plus bas, sous les flots.
Le jeu d’équilibriste se fait aussi sur la conclusion à apporter au drame : choisir la passion, c’est s’exposer à la destruction : la solaire Michelle, c’est la drogue, la fausse couche, l’adultère. Opter pour la raison, c’est s’apaiser sur tout ce qui ne nous appartient pas : la Bar Mitsva, l’emploi, l’équilibre dessiné par la génération parentale. (A ce titre, on remarquera aussi l’assentiment de la mère, très délicate Isabella Rossellini, qui laisse son fils les quitter en silence dans un scène d’une grande finesse.) Le suicide est donc la voie royale, parce que l’effet de boucle avec son occurrence en ouverture du film lui donne une légitimité nouvelle. Mais le double renoncement de Leonard (à la mort, et à son amour véritable) fait de lui un héros discret, qui opte pour le bonheur des autres et, surtout, une vie possible. Rejoignant la décision sacrificielle de Meryl Streep dans Sur la route de Madison, Leonard goûte au tragique de la norme. Avec sa mère, seul le spectateur sait ce que signifient ses larmes et la bague qu’il offre à la brune, la blonde dans le cœur.
Silence, musique, regards brillants : en délaissant les morts violentes et les destinées tragiques, Gray atteint les sommets de l’émotion et de sa carrière sur un canapé.
Mais genre. C'est un film clairement mineur ok, mais il y a plein de bonnes choses dans The Immigrant. En fait quand tu parles de films, c'est soit des chefs-d’œuvre, soit des grosses merdes.
"Our films were never intended for a passive audience. There are enough of those kinds of films being made. We wanted our audience to have to work, to have to think, to have to actually participate in order to enjoy them."
C'est vrai qu'il ya plein de bonnes choses, des filtres jaunâtres dégueu, Cotillard insupportable, Reiner maquillé comme une pute, une histoire pour les ménagères ménopausées. C'est la fête. Ça y est, j'ai dit que 3 films étaient des merdes et ma vision du cinéma est réduite à un système binaire...
Il est tellement génial ce film qu'il n'y a que 2 critiques dans la base (un 4 et un 5), dont la mienne...
ma vision du cinéma est réduite à un système binaire
Bah non. Pour ça, faudrait que tu qualifies certains films de chefs-d'oeuvre (à part des Michael Mann avec des scènes de cul sponsorisées par Tahiti Douche).
Il est tellement génial ce film qu'il n'y a que 2 critiques dans la base (un 4 et un 5), dont la mienne...
Alors ça, ça ne veut rien dire.
(Note que je ne l'ai pas vu, Cotillard + Renner, c'est un coup à me faire crever)
Jimmy Two Times a écrit:Il est tellement génial ce film qu'il n'y a que 2 critiques dans la base (un 4 et un 5), dont la mienne...
Cet argument.
Mais promis, la prochaine fois que je le verrais, je posterais une critique.
"Our films were never intended for a passive audience. There are enough of those kinds of films being made. We wanted our audience to have to work, to have to think, to have to actually participate in order to enjoy them."