Glitter defeat symphony
Pas cette fois.
Que tu te sois laissé prendre il y a 17 ans, passe encore. Et deux ou trois fois depuis, peut-être, mais c’était avant. Avant la patine de l’expérience, le vernis de la culture qui, quoi qu’on fasse, épaissit la carapace. Avant la cinéphilie qui révèle d’autres voies, moins ostentatoires, d’autres œuvres, plus matures, d’autres chants, moins lyriques et d’autres images, plus authentiques.
Alors, cette fois, on ne te la fera pas. Tu vas t’en assurer, tu vas reprendre ces trois heures dont tu anticipes déjà les limites. Des mouvements constants à t’en donner la nausée, une musique permanente qui pourrait tout avoir du cache-misère, et des larmes, et des amours blessées, des dents et des enfants brisés, des chiens et des grenouilles. Tu t’en souviens, tu sais qu’il va en falloir du talent pour te faire avaler cette pièce montée qui s’annonce déjà trop riche, trop lourde, trop.
-That's another thing that goes...
-Your memory ?
- Time lines, you know? I remember things, but not... right there, you know?
Earl, cancéreux en phase terminale, donne le ton.
Magnolia est une symphonie pop, un requiem où les parents meurent, dans les cœurs et dans les mémoires, un funérarium des enfances scarifiées, un ballet de solitudes qui se croisent et se télescopent.
L’orchestration prend pour tempo la pulsation des cœurs meurtris : nos élans, nos explosions, nos douleurs, notre défaite face à l’ampleur émotionnelle sur laquelle les mots ne trouvent pas leur place.
Alors, on se déplace : dans les couloirs qui mènent au plateau télé, vers le lit du mourant, le long d’un rail de coke, vers le placard où gît un cadavre, face au public, sur les routes d’une ville dont chaque carrefour nous rappelle qu’on est irrémédiablement seul.
La vérité, c’est un plan fixe, et le silence qui laisse entendre la pluie. C’est le retour, derrière la danse mensongère, des vérités uniques : l’abandon, le mal, les trahisons, ces coutumes humaines qui pourrissent les destins comme le cancer le fait désormais des corps, jusqu’aux os. Le passé est un fardeau. Le présent, un châtiment.
Et la danse se poursuit, jusqu’à la déraison : les médiocres ont droit à leur instant de vérité, pathétiques, nimbés de sang, de pisse et de larmes : ils ont tous « a lot of love to give ». Le gourou du sexe s’effondre, la croqueuse de vieillard tombe le masque du cliché qu’elle incarnait, l’enfant demande à son père une affection. Les pères perdent.
Mais la mélodie, indicible, ténue, subsiste ; le manège a certes ralenti la cadence, le fracas des catharsis a grippé la machine, mais les yeux ne mentent pas. Deux solitudes côte à côte, par la magie d’une partition ou du montage, peuvent marier leur plainte. La pluie fusionne les larmes. Personne n’en sort indemne, et c’est sous les affres d’une apocalypse grossière que s’achève cette comédie humaine. Et la chanson reprend, épaissie d’une douleur nouvelle, mais irisée de quelques sourires, mêmes ensanglantés.
Cette fois encore, donc. Je n’étais pas prêt. Qui l’est ?