Taxi sniper
Revu il y a trois ans et massacré par une note divisée par deux, je me devais de redonner sa chance à Collatéral : au sein d’une intégrale consacrée à Mann surgiraient peut-être de nouvelles ébauches de sens.
Définitivement, non. Contextualiser cet opus dans la filmo du maitre ne lui rend pas service.
Commençons par reconnaitre que son talent n’est pas étiolé pour autant : s’il est un film qui renoue bien avec les premières amours de Mann, c’est bien Collateral. On retrouve ici tout ce qui a fait sa patte, cette façon unique d’arpenter la ville, des voitures la sillonnant (Le Solitaire) aux hélicos rutilants qui la surveillent (Le Sixième sens), des gangsters qui la gangrènent (LA Takedown), dans une nuit orthonormée, brillant de mille feux (Heat et Révélations).
C’est beau et fluide, le rythme est maitrisé au cordeau et l’architecture est investie au service du thriller : en intérieurs, dans la belle séquence de fusillade dans la discothèque, ou au dehors, dans le passage très de Palmien de voyeurisme effaré des fenêtres du building, ou encore sur l’arrivée perpendiculaire de deux rames de métro.
Dans les autres films de Mann, cette esthétique a toujours été mise au service d’un récit, de personnages dotés d’une véritable épaisseur, voire de questionnements de plus en plus ambitieux, délaissant les terres du pur thriller. La musique, par exemple, est dans Ali le vecteur d’une culture afro-américaine et vise à contextualiser une époque : si elle est trop présente, on peut comprendre sa raison d’être, tandis qu’elle occasionne ici des transitions clipesques poseuses et clinquantes.
Il en va de même pour à peu près tout le reste : les personnages sont grossièrement ébauchés, les pistes scénaristiques lourdes au possible (la photo des Maldives, le projet des limousines, le gimmick du mort dans le métro que personne ne voit, et la coïncidence à la tronçonneuse de la femme cliente devenant la prochaine victime…) et les dialogues d’une pauvreté affligeante. Voulant dessiner des ébauches d’ambiguïté entre le ravisseur et sa proie, on nous impose un échange de coaching de magazine dans lequel l’émancipation consiste à jouer au mec viril face à un baron de la drogue et foutre un flic à terre en répétant une phrase dite auparavant par le méchant : « When did this become a negotiation? ». Notre gentil, soumis à maman et n’osant pas répondre aux avances d’une gentille procureur, joue la carte de la maladresse avec la subtilité d’un footballeur en boite un soir de victoire.
On le comprend assez vite : tout ceci ne dépassera pas l’ambition d’un petit polar du dimanche soir sur TF1. Le final grotesque au cours duquel le méchant peine à mourir voit Tom Cruise (jusqu’ici très convaincant, force est de le reconnaitre) se transformer en une sorte de Terminator de plus en plus pâle et déréalisé sous la pellicule numérique.
Petit accident dans une filmographie ambitieuse, chef d’œuvre incompris par votre serviteur ou début de la fin ? Collateral a les jantes chromées d’une voiture de luxe, mais le moteur d’une Opel Corsa.