Huitième livraison de Quentin Tarantino,
The Hateful Eight était probablement ma plus grosse attente de ces derniers temps, car qu'on aime ou pas le réalisateur et son style si particulier, chaque nouveau film qu'il fait met la communauté cinéphile en ébullition en ressortant les éternels débats entourant son œuvre qui a bien évoluée, passé d'une proposition de cinéma novatrice mais modeste (ses premiers films restaient ancrés dans une forme de réel) a un travail de plus en plus radical dans son approche, notamment en investissant les genres les plus codés et fantasmés du cinéma, essentiellement historiques pour développer un discours interessant sur l'emploi des codes de cinéma, sur l'Histoire du cinéma (et même l'Histoire tout court) et un autre point qui m'a sauté aux yeux en revoyant les films post-
Jackie Brown de sa filmo : la question de la vengeance. En effet, il est indéniable que Tarantino a développé avec les années une sorte de fascination presque maladive pour le sujet, en allant toujours un peu plus loin, si dans
Kill Bill elle n'était en fin de compte qu'un prétexte, dans
Django et
The Hateful Eight, elle est l'un des moteurs thématiques cardinaux de l'intrigue avec des personnages qui n'ont plus aucun sens moral et prennent littéralement du plaisir a aller dans la violence la plus débridée. Néanmoins,
Django me semblait avant tout une potacherie puérile, là où
The Hateful Eight représente le film de la maturité, celui d'un cinéaste qui a enfin pris conscience de cet état de fait et va le distiller dans sa prose virtuose, puisque non content d'être un huis-clos mettant a l'honneur tous ses comédiens sans exception, le film pose sans cesse la question de la Justice et de la vengeance mais développés a travers une galerie de personnages détraqués qui vont tour a tour opposer leur vision des choses (enfin surtout le trio Ruth-Mannix-Warren, antagonistes sur le papier, mais plus proches qu'ils ne le pensent sur le sujet) dans une société Américaine qui ne s'est pas complètement remise de la fin de la Guerre de Sécession, et me rappelle a mon triste souvenir la période de l’Épuration après la Seconde Guerre Mondiale où le ressentiment des différents camps ne s'est pas estompée du jour au lendemain, pire, qui aura permis un instant de non-droit où chacun pouvait régler ses comptes personnels qu'ils soient justes ou non.
The Hateful Eight c'est a mon sens également une superbe digression sur le théâtre et la mise en scène (ça tombe sous le sens, surtout une fois que l'on a assimilé les révélations de l'intrigue, le revoir une seconde fois avec cette lecture en tête aide a apprécier davantage le film), puisque le film déjà est pensé comme une sorte de vaudeville avec ses personnages aux comportements tous très différents (et tranchés, il y a un travail excellent sur la diction des acteurs qui justifie l'aspect too much des personnalités) et la configuration de l'unique lieu de tournage qui peut se voir comme une salle de théatre où les acteurs vont et viennent a loisir, astucieusement exploités dans le cadre par un format 2.76 qui est juste LA meilleure idée qu'ait eu Tarantino pour le film, outre de faire plaisir aux nostalgiques du cinéma old school comme moi, celui-ci s'efforce de toujours rendre conscience de la présence des acteurs même quand ceux-ci ne sont pas le centre des attentions. Pour aller plus loin dans mon analogie, je trouve qu'avec ce film Tarantino a atteint un degré de perfection dans la direction des acteurs, jamais ils n'auront été aussi bien servis tant par leur dialogues que de la manière de les filmer, chaque mot sonne juste dans son intention, chaque acteur joue son rôle comme il doit le jouer, il n'y a pas de désir de tirer la couverture a soi, non tout le monde reste a sa place : Madsen, Roth, Bichir et Dern ont des rôles moins exposés, bien que Tarantino leur offre chacun LEUR scène, leur petit moment qui fera toute la différence. Enfin dans un registre différent, Tarantino est aussi arrivé a maturation dans sa gestion de la temporalité qui n'est pas sans rappeler l'esprit du grand Sergio Leone qui savait mieux que personne raconter en trois heures ce que d'autres auraient fait en moitié moins de temps, 3h pour un huis clos cela peut sembler excessif mais il a décidé d'assumer a fond son maniérisme et bien lui en a pris tant il arrive a gérer son rythme grâce a des dialogues fluides et pourvus de plusieurs degrés de lectures qui rendent chaque revisionnage du film encore plus riche que le précédent. Ça cause, oui, mais ça ne dit pas de conneries avec des éléments contextuels jamais gratuits (la lettre de Lincoln par exemple).
Le dernier point que je voudrais aborder reste la place des références cinéphiles, car oui, on va pas se mentir
The Hateful Eight reste lardé de références et même d'autocitations, mais film de genre historique oblige, il arrive a faire passer ça de manière subtile comme le choix de la BO de
la Dernière Maison sur la Gauche sur une scène au ton étrangement similaire a son usage dans le film de Craven : la scène est différente sur la forme mais l'esprit est là malgré tout. Si au final,
Jackie Brown et
Kill Bill gardent le sommet du podium, je peux d'ores et déjà dire que
The Hateful Eight est un classique instantané pour moi, un idéal de cinoche généreux qui respire l'amour du cinéma et des acteurs (c'est peu de choses de dire que Walton Goggins aura enfin l'honneur d'avoir un rôle au ciné qui l'aura sublimé de bout en bout et on avait oublié a quel point JJ Leigh nous avait manqué) a une époque où le médium cinéma se fait de fait de plus désincarné. Merci du cadeau Quentin, grâce a toi je commence l'année 2016 avec vigueur et optimisme (même si paradoxalement le message porté est tout le contraire
).
10/10