[Nulladies] Mes critiques en 2015

Modérateur: Dunandan

Coeur en hiver (Un) - 10/10

Messagepar Nulladies » Ven 18 Déc 2015, 06:38

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Tous les matins s’effondrent.

Lorsque le film s’achève, sur ce suspens entre la brisure et les élans d’une vie qui se poursuivra, conclusion de tant de films de Sautet, on se dit que toute sa filmographique tendait à ce chef-d’œuvre.
Pourtant, Un cœur en hiver n’est plus en tout point fidèle à la flamboyante œuvre du maitre. L’époque a changé, le temps a passé. Les groupes se sont réduits, et la géométrie collective se densifie dans une communauté restreinte, où chaque lien a son sens : l’amitié, masculine ou mixte, le triangle amoureux, et la filiation.
Sautet décape : le crépuscule de sa vie semble atteindre ses personnages, pourtant d’une jeunesse encore vigoureuse, mais prudents, à l’écoute de leur part d’ombre, avares de mots et de grandes sorties, qui n’en seront que plus bouleversantes lorsqu’elles ne pourront plus être contenues. L’image, d’un grain sublime, absorbe l’obscurité dans des clair-obscur fascinants, et occasionne des portraits magnifiques.
Les grands personnages de Sautet ont toujours pris le silence comme complice : Romy, dans Une histoire simple ou César et Rosalie, Piccoli dans Les Choses de la vie ou Max et les ferrailleurs, Auteuil dans Quelques jours avec moi, Dewaere dans Un mauvais fils… optent pour cette devise qui est désormais l’épitaphe sur la tombe du cinéaste : Garder le calme devant la dissonance. Dans ce nouveau chapitre des tourments amoureux et de la vie face à la perte, Sautet embrasse enfin pleinement une passion de toujours, la musique, et la met au centre des échanges. Camille ne se confie jamais autant que l’archet à la main, avec lequel elle caresse ou gifle. Stéphane ne se livre jamais autant que lorsqu’il écoute, et ne croit aimer qu’une seule personne, son ancien maitre de musique qui fait figure de père au soir de sa vie.
Contrepoint à l’expression musicale, le silence de l’artisan, le travail des mains et du bois, qui ouvre le film, sur un violon qu’on ouvre puis qu’on scelle, parcours inversé de ce que fera le luthier avec son cœur. Tout est parfaitement méticuleux, et Stéphane pense avoir compris la vie en spectateur, auditeur ou lecteur. L’amour, c’est la déchirure des vieux couples ou ceux, si familiers de Sautet, à la table voisine du bistrot. « Ecrit, c’est souvent très beau », concède-t-il. Mais il ne se laissera pas prendre, tout au plus aura-t-il la faiblesse de constater à quel point les autres peuvent flancher. Ce personnage de Stéphane restera l’un des plus beaux écrits par Sautet, d’une complexité compréhensible, d’un handicap excusable, qu’on voudrait parfois faire sien pour échapper aux ravages ce qui fait notre humanité : la passion.
Il y aura les pluies. Il y aura des larmes. La mort de la figure du patriarche, comme souvent. Des comédiens exceptionnels, capables d’incarner dans le calme toutes les inflexions de l’humanité. Si les générations se succèdent et que les talents restent aussi flamboyants, c’est bien à une direction d’acteurs hors norme qu’on le doit.

« On ne peut pas démystifier les sentiments. Personne ne peut prétendre à cet orgueil-là. » assène le maitre de musique à Stéphane, sur la voie de la rédemption. Il n’y a pas de morale, pas de victoire. Un échec, peut-être, mais surtout un parcours, qui laisse au temps qui passe la possibilité de voire une nouvelle saison succéder à l’hiver.
Comme toujours.
Sautet joue avec les modulations de sa partition, irisé du sourire triste de celui qui sait être parvenu au sommet de son art.
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Je suis un soldat - 6/10

Messagepar Nulladies » Mar 22 Déc 2015, 07:01

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Combats de maigres et de chiens.

Soyons de bonne volonté en commençant par reconnaitre les qualités de ce premier film avant que d’en fustiger les maladresses. Je suis un soldat opère sur un terrain glissant dont il évite bien des pentes, et en cela, mérite bien des éloges. Film social et de mafia, il réussit là où se plantaient les bien plus médiatiques Loi du marché et Dheepan : en évitant misérabilisme didactique et imitation ratée. Tout est ici modeste : le milieu décrit, les écarts avec la loi, les dangers du milieu et les dérives possibles. Dans cette initiation au milieu du trafic de chiens, Laurent Larivière construit des personnages plutôt crédibles, qu’il s’agisse de Louise Bourgoin savamment motivée à effacer tout glamour ou Jean Hugues Anglade en patriarche de seconde zone, dont la violence rentrée est assez convaincante.
S’ajoute un arrière-plan lui aussi plutôt juste, à travers une mère délicatement brisée par la vie, un beau frère qui tente de l’affronter à son tour et l’illusion éphémère de penser que l’argent où la solidité de la brique est l’unique solution aux difficultés de l’existence.
La principale qualité du film réside dans la majorité de ses scènes, sur le fil, optant pour le regard dur et désabusé du personnage de Louise Bourgoin, résignée à certaines concessions pour s’en sortir. La neutralité avec laquelle on évoque la marchandise vivante, le mutisme effrayant des intermédiaires et les friches glauques de la frontière franco-belge achèvent un tableau convaincant. Les parallèles entre cette chair à trafic et les individus face au capitalisme est facile à opérer, et Larivière a l’immense mérite de ne jamais la surligner.
La question est de savoir si l’on aurait pu se limiter à une telle ambition, finalement documentaire, et se dispenser des maladresses d’écriture qui émaillent la progression du récit, forcé de reprendre les rails d’une certaine convenance romanesque. L’intrigue sentimentale est à jeter, et les voies de la rédemption assez difficiles à gober, tant pour la protagoniste que son oncle. De la même manière, la mise en scène souffre d’un manque d’homogénéité, et l’on sent que le réalisateur n’a pas encore clairement défini sa ligne esthétique, passant d’un naturalisme brut, caméra à l’épaule à un lyrisme poétique assez incongru, filtre rouge sur une rivière, séquence qu’on croirait sortie du Valhalla Rising de Refn, ou clip musical pour une série de portraits familiaux qui tranche trop avec le reste pour pleinement convaincre.
Il n’empêche. Par sa direction d’acteur, par son habileté à ne pas se vautrer comme tant d’autres, bien plus expérimentés, le font, par sa capacité à donner vie à un monde sans fard, Laurent Larivière est un cinéaste à suivre.
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Mia madre - 6/10

Messagepar Nulladies » Mar 22 Déc 2015, 07:04

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La file d’à côté.

Un rendez-vous manqué : c’est vraiment le sentiment ressenti à l’issue de la projection. Et de ne savoir comment rédiger cette critique, qui devrait plus évoquer la posture du spectateur que la qualité intrinsèque du film.
Mia Madre, qui rend dingue la sainte trinité Cahiers/Positif/Télérama (ceci précisé sans sarcasme, dans la mesure où je lis régulièrement ces trois revues) serait l’un des rares bons films de la dernière sélection cannoise qui fit grand bruit par sa déception, au premier rang de laquelle on classera sa très contestable palme d’or.
On le sait, Moretti parle avant tout de lui, à l’exception notable du réussi Habemus Papam, sur le tournage duquel il perdit donc sa mère, inspiration de ce nouvel opus, déplacé sur une protagoniste féminine. C’est donc l’occasion d’une exploration du monde cinématographique, des tournages et de ses aléas, des exigences un peu farfelues de la réalisatrices et des caprices de la star américaine campée par un John Turturo certes assez truculent, et dont les apparitions résonnent comme des respirations par rapport au contexte familial. En contrepoint de cette agitation, la décrépitude de la mère, l’heure des bilans, le déni de la mort imminente à dépasser, une vie amoureuse chaotique et une nouvelle génération à gérer.
Tout ce petit monde est en tout point convaincant, le film enchaine les pastilles plutôt justes, et joue des contrastes entre la seule réalité inéluctable, celle de la mort, et l’agitation pourtant salvatrice des vivants, aussi actifs dans leurs illusions devant la caméra que dans leurs rêves. La structure procède ainsi par dissonances, grâce à des flashbacks, des séquences fantasmées ou oniriques qui nimbent la linéarité quotidienne d’une atmosphère inquiétante et intime, rivée aux dérives mélancoliques de cette femme qui doit tour à tour être mère, être femme, être fille et diriger toute une équipe.
Spleen et tendresse, pathos sans emphase, telle semble être la ligne directrice de Moretti. De ce point de vue, tout fonctionne.
Comment expliquer, dès lors, l’ennui discret qui guette, le sentiment de voir s’égrener de façon un peu artificielle toute cette galerie sans que ne pointe l’émotion vive pourtant si vivement convoitée ? Moretti a beau exploiter l’une des musiques les plus poignantes au monde, celle d’Arvo Pärt et de son chef d’œuvre Fratres, il n’atteint pas le sommet ambitionné.
C’est à se demander si le sujet me dérangerait personnellement au point de me fermer face à lui. Mais l’émotion ressentie face à La Chambre du Fils (et son recours au splendide titre de Brian Eno, By this River) vient contredire cette hypothèse, tout comme celle générée par Amour d’Haneke sur un sujet similaire.
La réalisatrice demande souvent à ses comédiens de jouer « à côté » de laisser paraitre l’acteur en même temps que son personnage, formule sibylline qu’elle-même reconnait ne pas comprendre au bout d’un moment. C’est un assez bon résumé de la position occupée en tant que spectateur face à ce film aux qualités indéniables, mais dont les qualités d’empathie restent pour lui fragiles.
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Au-delà des montagnes - 6,5/10

Messagepar Nulladies » Sam 26 Déc 2015, 08:24

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La dissolution finale.

On avait quitté Jia Zhangke sur un constat assez terrible, celui d’un pays livré à la sauvagerie capitaliste dans un bain de sang et de stupre. Le récit qui ouvre Au-delà les montagnes laisse supposer un certain apaisement : de retour en 1999, la nation se cache derrière le destin de trois personnages qui forme un triangle amoureux relativement modeste. Partout règne une ambiance plutôt festive, les feux d’artifice se succèdent, ainsi que les danses sur les Pet Shop Boys, ouverture sur la dernière année d’un millénaire, et les promesses d’une aube plutôt reluisante qui fait retentir les sirènes de l’Occident sous le refrain de « Go West ».
Mais la toile de fond n’en est pas moins omniprésente : c’est une foule compacte d’ouvriers, la mine, les friches urbaines et noires comme le charbon qu’on retire à une terre qui semble exsangue, rappelant de belles séquences du récent Black Coal. Le destin du pays est tracé, entre les deux prétendants de la protagoniste : la classe ouvrière, qu’on ensevelira, et le capitalisme émergent qui s’oubliera sur les cimes.
Sur trois temporalités, 1999, 2014 et 2025, Jia Zhangke radiographie l’avancement du monde, fort de thèmes qui structurent ses dernières œuvres : comme dans Touch of Sin, on voit se diluer une identité générale dans l’occidentalisation forcée du monde. L’Eden, c’est l’Australie, parler anglais, et changer son nom : s’intégrer, c’est se désintégrer. Le pays du soleil permanent et de la verdure artificielle a en effet tout des dystopies aseptisées, et les technologies de la transparence peinent à masquer le vide existentiel de leurs utilisateurs. Comme dans Still Life, il s’agit d’établir une quête des origines, et de déterminer si l’on fera le chemin de retour. . Le message est complexe : celui qui revient, c’est par échec, rongé par le cancer inhalé dans la mine. Celle qui reste semble déconnectée du monde, incapable de faire autre chose qu’un deuil, celui d’un père ou d’un fils qu’elle laisse partir sur un autre continent.
Le sentiment d’un déclin généralisé assure donc bien une continuité dans la filmographie de Jia Zhangke. Mais il se double ici d’une étrange exploration du registre sentimental, où l’amour et la filiation occupent presque toute l’intrigue avant de voler en éclats au gré d’ellipses assez ravageuses. C’est à la fois efficace et déroutant, et l’on ne peut s’empêcher de penser que le final cut a subi quelques maladresses, notamment sur le sort de l’amant éconduit. La perte des êtres ne se fait plus dans l’ultra violence presque baroque d’A Touch of Sin : un des personnages se plaint ainsi de pouvoir acheter librement des armes en Australie, mais d’y avoir en même temps perdu les ennemis de sa terre natale... La renonciation est presque consentie, et l’on dit, dans un éclat de rire, qu’on est un enfant éprouvette, anticipant les visions futuristes et glaciales d’un Houellebecq.
Mais là où Jia Zhangke se faisait cinglant, là où il assistait, par touches insolites, à la noyade d’un continent entier, il opte ici pour un mélo lyrique qui n’atteint pas toujours son but. Il a beau nous proposer un petit crash inattendu ou des séquences en vidéos en forme d’interludes arty, on a le sentiment que l’occidentalisation n’atteint pas que ses personnages, mais aussi l’écriture elle-même. La démonstration sur les évolutions temporelles ne se fait pas toujours dans la finesse (du téléphone fixe à l’iPhone, puis une tablette translucide, l’insistance pesante sur l’anglicisation) et le changement du format à trois reprises, jusqu’au scope semblerait plus acceptable dans une première œuvre que chez ce cinéaste aguerri.
Jia Zhangke aura eu le mérite de changer d’angle de vue pour traiter de ses obsessions. Si le résultat n’est pas aussi saisissant qu’il put l’être auparavant, il n’en dresse pas moins une cartographie assez pertinente d’une humanité qui, par ses excès, se dissout plus qu’elle ne s’affirme.
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Ex Machina - 7,5/10

Messagepar Nulladies » Mar 29 Déc 2015, 06:46

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Inhuman after all.

Sur le terrain à la fois balisé et glissant des films sur l’intelligence artificielle, Ex Machina est une jolie surprise. Non pas tant par son originalité, puisqu’on y retrouve un grand nombre des attendus pour un tel sujet, mais par la façon dont il parvient à les traiter.
Alex Garland, pour son premier film, semble opter pour une forme de modestie, qui rappelle par bien des aspects celle de Duncan Jones dans Moon : huis clos à quatre personnages, le récit explore un labyrinthe architectural de toute beauté, et occasionne quelques respirations plus ou moins mensongères dans une nature luxuriante qu’on croirait sortie des îles paradisiaques de Jurassic Park.
Rivée à ce test de Turing qui ouvrait le modèle indépassable de Blade Runner, l’intrigue est maline dans le sens où elle ne cesse d’exhiber, dès le départ, toutes ses ficelles : il s’agit bien de confronter l’homme et la machine, les rapports entre concepteur et employés sont troubles dès le départ. L’I.A. n’a en ce sens rien à voir avec la voix somptueuse de Scarlett dans Her ou le visage angélique d’Osment dans A.I. : sa nature robotique est clairement montrée, tout comme l’univers carcéral, saturé de vidéo surveillance, jette le trouble sur les conditions de l’expérience.
La progression du récit suit des sentiers connus, voire galvaudés, et laisse un temps craindre la lassitude. Ce n’est pas tant l’idylle naissante entre l’individu et la créature, sujet attendu, qui fascine, que la figure du concepteur, un Oscar Isaac assez méconnaissable et redoutable. Ses certitudes, sa froideur, ses discours occasionnent des réflexions assez pertinentes sur ce qui fait l’humanité, de l’absence contrôlée de contrôle de Jackson Pollock face à sa toile à la soumission librement consentie de tous les utilisateurs de moteurs de recherche. Point culminant de cette figure du Dr Frankenstein, une scène de danse aussi charnelle que glaciale, admirablement gérée dans son déséquilibre malsain.




Puisqu’on ne nous la fait pas, et qu’on nous annonce dès l’entrée la manipulation, tous les cas de figure sont envisagés. L’intelligence du film n’est pas tant de nous surprendre que de jouer avec nos clichés, tout comme l’IA joue avec ceux de Caleb : avant lui, nous pensons qu’il pourrait lui-même être un cyborg. Avant lui, nous comprenons qu’il n’y a pas eu de loterie pour le choisir. Mais c’est justement ce jeu du plus malin qui enferme le protagoniste comme les spectateurs, et les faux semblants sont autant de chausses trappes qui laissent libre cours à la véritable intelligence, celle dénuée de sentiments, ou sachant composer avec eux pour parvenir à ses fins.
De ce point de vue, si la fin abuse un peu des twists, elle converge vers une beauté trouble tout à fait intéressante, à l’inverse des films traditionnels sur le sujet : c’est la conquête par le robot d’une humanité d’apparence, l’habillage par la peau, et la sortie vers le vaste monde, un carrefour où fourmillent les cobayes, ces individus que les machines considèrent déjà comme des primitifs.
Intelligent dans sa mise en scène, efficace dans sa claustrophobie, intéressant dans ses débats, Ex Machina est l’une des belles réussites de 2015.
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Back Home - 8/10

Messagepar Nulladies » Mar 29 Déc 2015, 06:47

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L’enfer, c’est les nôtres

C’est sur une image terriblement trompeuse que s’ouvre Back Home : celle de la main d’un nouveau-né serrant le doigt de son père. Si l’on est tenté d’y voir un écho au lyrisme ébahi de Malick dans Tree of Life, il faudra rapidement se résoudre à y renoncer. Dans ce geste se loge toute l’exploration à venir des complexes rapports humains, d’autant plus retors qu’ils sont situés dans cet univers carcéral qu’est la cellule familiale. Un geste silencieux, un réflexe nerveux sur lequel on aura tôt fait de voir l’amour filial se dessiner instinctivement, réécriture romanesque et idéalisée qui finira par gangréner la vie de toute une famille.
Back Home (pourtant modifié suite aux attentats, et qui qui s'intitulait Louder than bombs) porte brillamment son titre : de retour, il est question à des degrés divers : celui du fils devenu adulte dans sa maison d’enfance, celui qu’il ne parvient à opérer vers la famille dont il est désormais le nouveau père, ceux de cette mère défunte qui ne cessait de repartir vers les quatre coins du monde pour y traquer des images fulgurantes des guerres, des famines ou de tout ce que l’actualité vomit de plus dramatique. Des retours imposant de régler des comptes, de trier des archives, de faire face à ses engagements, de scruter un passé qui ne passe pas.
Cette question est au centre de l’œuvre de Trier : c’était déjà un retour qui occasionnait l’adieu au monde du junkie, protagoniste d’Oslo, 31 aout. Ici, il est davantage question de ceux qui restent : après l’accident, probable suicide d’Isabelle (Huppert, aussi fugace qu’impeccable, comme à l’accoutumée), toute communication semble impossible. Entre le père et son plus jeune fils, en pleine crise d’adolescence (contraignant le premier à rentrer en contact avec lui via les jeux en réseau, pour se faire froidement abattre avant tout échange), mais aussi entre les frères. Jesse Eisenberg, en ainé supposé apporter l’équilibre, offre une partition glaçante d’équilibre : nerveux, dépassé, il compense sa panique face à la vie par une façade a priori imperturbable, un discours efficace où tout se règle par le mensonge. Sur le sort de son épouse, échangeant le cadeau de la vie contre la perspective de la mort ; sur celui de sa mère, ainsi que sur sa fidélité, préférant une version édulcorée et hagiographique. Ses conseils iront jusqu’à proposer à son jeune frère Conrad l’effacement et le renoncement, le temps du lycée, avant d’envisager un jour de pouvoir exister. La révolte de ce dernier passe donc par un rapport frontal à la vérité. Sa confession et les images qui l’accompagnent rappellent un peu trop American Beauty et l’on craint un moment que la profusion des névroses ne prenne la voie emphatique de ce modèle, mais Trier déjoue savamment ce piège.
C’est par le rêve et d’autres échappées que les personnages prennent rendez-vous avec eux-mêmes : celui d’un viol, d’un casque qui diffuserait, enfin, le silence, ou des récits sur soi qu’on fait à la troisième personne, s’observant avec recul, et par conséquent bienveillance. La vérité n’est pas accessible, quand bien même elle serait dite : les images d’Isabelle, fragments bruts du monde, sont balayées aussi vite qu’on tourne une page dans le journal ; la confession écrite de Conrad est édulcorée par un pathétique acte de bravoure, celui d’avoir craché au visage de sa prof d’anglais, à qui il ne parvenait à dire autrement qu’il savait qu’elle couchait avec son père. Et sa grande émotion amoureuse se résumera à un filet d’urine courant sur le béton d’une sortie de garage.
Les cadres sont étudiés, souvent saturés de droites et la photographie glacée, de cette propreté un peu trop nette pour être honnête. La vérité, c’est celle d’une famille doublement abandonnée : à de multiples reprises par une femme libre, éperdue d’aller capter les vibrations du globe, et définitivement, lorsqu’elle prend conscience de ce que sa vie n’est qu’un jetlag continu. Ni avec eux, ni sans eux. Le pessimisme n’est pas pour autant aussi radical que ne l’était celui d’Oslo, 31 aout : parce qu’il s’attache à ceux qui restent, Trier ménage des échappées face à ce modèle aussi brillant qu’insoutenable que fut cette mère démissionnaire : modestes, maladroites, cabossées, certes, mais d’une cellule qui tient malgré tout, et qui semble s’affranchir de certains barreaux dans la séquence finale.
En parvenant à dresser ce portrait touchant de ceux qui ne savent pas faire avec la vie telle qu’elle s’impose, en évitant les travers du coaching pour famille sur divan, Trier touche juste, obtient le meilleur de ses comédiens et offre un nouveau chapitre à une filmographie qu’on espère à l’avenir du même acabit.
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Absolutely anything - 3/10

Messagepar Nulladies » Mer 30 Déc 2015, 07:04

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Absolutely insipide

Il fallait rien de moi que (feu) les Monty Python pour penser à un tel argument marketing, et me pousser à voir cette petite chose oubliable : mettre leurs voix sur des aliens géants décidant du sort du monde pour nous faire croire, avec leur réalisateur, qu’ils étaient peut-être de retour aux affaires.
Le pitch lui-même est déjà éculé : le coup de l’omnipotence, on l’avait déjà mal fait, avec Bruce Tout Puissant, et d’une façon un peu plus acide avec l’injustement oublié Bedazzled. Absolutely Anything lui emprunte d’ailleurs les rares moments qui peuvent prêter à sourire, à savoir la façon dont les vœux sont interprétés s’ils sont formulés de façon ambivalente, comme le corps d’un grand homme (Einstein au lieu d’un chippendale), se retrouver à l’intérieur d’un bus, c’est-à-dire dans son moteur, etc. C’est bien peu au regard du reste. Romance pourrie, ancienne conquête envahissante comme transparente copie d’un personnage insistant dans Un poisson nommé Wanda, pote en carton, blagues potaches (la crotte de chien qui fait un plongeon, la bouteille qui retourne au magasin, les clichés sur les gays, le sexe démesuré…) scénario inintéressant au possible… Rien ne sauve cette prestation paresseuse et dénuée de toute inspiration.

Ah, si, les conversations avec le chien peuvent avoir un charme certains. On aurait pu un faire un sketch youtube, en somme.

Et de me dire que ça fait une sacrée paye que je n’ai plus ri au cinéma, tiens.
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Smell of Us (The) - 2/10

Messagepar Nulladies » Mer 30 Déc 2015, 07:08

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Smells like mean spirit

Que faire de ça ?
Telle est la question. The Smell of us nous est présenté comme une œuvre, considérons la comme telle. On y verra un film destructuré, destructeur, qui prend en charge dans sa forme la conduite même des personnages qu’il accompagne : ordalique, alcoolisée, camée, déflorée. On y comprendra le « travail » opéré sur la thématique du regard, à travers ces poupées de cires, ces visages de statues, et l’obsession du voyeurisme par ce personnage muet de coryphée filmant toutes les scènes avec son portable. On y notera le traitement de l’image, volontairement crade et punk, le jeu sur la laideur numérique où les corps s’effondrent (où l’on perçoit un écho avec la partie parlée Ugly-Pretty de Christine & the Queens) pour une esthétique à la fois documentaire et volée. On prendra en compte cette tentative de capter sur le vif une jeunesse sans la juger, dans toutes ses contradictions, sa vigueur par le skate, sa liberté vénéneuse par une sexualité débridée qu’on croit pouvoir ou devoir pratiquer sans barrière pour affirmer sa liberté. On subira, en contrepoint, celle des vieux qui tentent, grâce au fric, de reprendre contact avec cet élixir de jouvence, offrant leurs chairs flétries et leur rire carnassier, leurs bouches avides de pomper la jeunesse cynique et quasi consentante.
Alors ce serait ça : le profond dégoût dirait le tragique de la fuite du temps ? Les ravages d’une génération perdue, dissoute dans le fric trop facile et le sexe débridé ?
Non.
La forme chaotique ne dit pas uniquement, en forme de hurlement punk, que le chaos règne. Elle dit le bordel d’un tournage en forme d’expérimentation malsaine, elle dit la manipulation, elle suinte l’ambivalence de plans qui ne prennent nulle distance avec le regard d’un homme de 72 ans sur des sujets soumis à son bon vouloir. Certains sont allés jusqu’à saluer l’audace du réalisateur (dont c’est le premier film que je vois) qui représenterait sans fard sa part d’ombre, se mettant en danger, etc. Dans un roman, je veux bien. Mais avec des comédiens aussi juvéniles, c’est plus que dérangeant, il suffit de lire leur témoignages pour s’en convaincre. D’autant que le montage ne conduit à aucun propos, et fait des jeunes des complices davantage que des victimes, n’en déplaise à un suicide ou une scène de pleurs, un inceste terrifiant… Il ne suffit pas de tourner et regarder ce que ça donne, en détruisant un scénar au gré de délires voyeurs, déguisant le dilettantisme sous les oripeaux du film indé.
Alors non.
Sur les amours adolescentes sans idéalisation, on aura La vie d’Adèle, sur la destruction cynique postmoderne, à la rigueur Palo Alto ou Bande de filles, leur rapport à la drogue, Candy, leur tentative de s’initier à l’amour, Elephant, Virgin Suicides, Naissance des pieuvres ou Trois souvenirs de ma jeunesse. Sur la pédophilie, on pourra prendre en compte les vaillantes tentatives d’Araki dans Mystérious Skin.
Ce sont à chaque fois des œuvres de fiction portées par un(e) cinéaste en empathie avec ses personnages et les comédiens qui les incarne, quitte à les bousculer comme le fit Kechiche. Mais c’est bien là la différence majeure avec ce projet dont les intentions avouées ne peuvent que se conclure sur un rejet radical.
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Mark Chopper » Mer 30 Déc 2015, 09:22

Tu as posté deux critiques de Back Home en deux jours. On sent la fatigue :mrgreen:
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar Nulladies » Mer 30 Déc 2015, 09:28

Ah merde, en effet. C'est pas tellement la fatigue, plutôt l'alcool en fait. :-P

(je sais pas comment faire pour supprimer le doublon...)
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Re: [Nulladies] Mes critiques en 2015

Messagepar osorojo » Mer 30 Déc 2015, 09:39

Je pense que tu ne peux pas (je crois qu'on ne peut supprimer que son dernier message). Il va falloir compter sur un modo, j'espère que tu as gardé quelques deniers dans ta bourse, parce qu'ils prennent cher :mrgreen:
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