Foxcatcher, Benett Miller, 2014
Rétention du domaine de la lutte.
A qui tenterait de définir la patte d’un auteur sur son sujet, Foxcatcher a tout de l’exemple emblématique. Prenant à bras le corps un sujet ô combien balisé, il nous immerge sur les terres froides d’un esthétique sans compromis, un peu poseuse, mais qui va s’avérer le plus souvent d’une grande pertinence.
L’une des premières séquences voit les deux frères Ruffalo et Tatum s’entrainer à la lutte ; les corps sont lent, calculés, simiesque, d’une élégance à la fois pataude et massive, comme l’est leur démarche au quotidien. Trois mots et quelques chutes, une agressivité nouvelle dans les gestes suffisent à faire de cet échange un intense programme des 2h15 à venir.
S’intègre dans ce duo complexe opposant le jeune champion fragile et son grand frère paternaliste un nouveau venu, milliardaire excentrique et insaisissable, œuvrant pour la patrie, sa mère et l’affirmation de son propre pouvoir. Au sujet de Steve Carrel, parfait dans son rôle, on peut toutefois se questionner sur la nécessité de l’avoir grimé à ce point : les acteurs plus vieux et au physique singulier ne doivent pas manquer. C’est là l’un des éléments un brin poussifs du film, l’une de ces petites insistances qui le jalonnent et prouvent que Miller a désormais un peu trop conscience de faire partie de la cour des grands. Les tableaux qui regardent avec insistance le jeune impressionnable, le show qu’offre Du Pont à sa mère, quelques répétitions et longueurs empâtent quelque peu l’ensemble.
Il n’empêche que le choix radical de laisser à l’image le soin de prendre en charge la tension des échanges est la grande force du film. De la même façon que les protagonistes lestent leur corps de tout l’indicible qui les étouffe, Miller compose ses cadres, désaxe ses champs/contrechamps pour construire un pénitentiaire luxueux et mental qui enferme aussi le spectateur. Le fait d’opposer son esthétique à celle, clinquante, de l’Amérique reaganienne et de ses films de propagande que fait tourner Du Pont à sa propre gloire accentue le malaise, et occasionne de très belles séquences de malaise, comme sa victoire à la lutte dans la catégorie des plus de 50 ans, où l’obligation de Ruffalo à le présenter comme un mentor à la caméra.
La puissance du film réside en réalité dans le choix du point de vue : c’est de Mark que Miller nous fait les confidents : un homme fragile, mutique, transférant l’ascendant d’un frère sur un substitut de père qui s’impose à lui avec ses propres complexes. Et lorsque l’argent permet tout, lorsqu’il laisse la place à des rêves qui impliquent la réussite des autres, le façonnage du champion, à savoir le représentant d’une bandière, devient la quête ultime. Alternant les revirements excentriques et les longs silences d’observation anxiogène, le trio des chiens de faïence nous conduit avec maestria dans un dédale sans repères où la violence peut surgir à tout moment.
Apre, non sans écueils, Foxcatcher est très ambitieux ; mais au vu du talent déployé, il a bien des raisons de l’être, empruntant non sans ironie leur état d’esprit aux lutteurs : si l’on se lance, c’est pour la victoire.