Presque dix ans après la trilogie
The Lord of the Rings, Peter Jackson se retrouve à la barre de l'adaptation du Hobbit de Tolkien, préquelle contant les aventures de Bilbon dans un récit qui pose plus ou moins les bases de la fameuse trilogie. Une préquelle que Jackson ne souhaitait surtout pas réaliser, il suffit de lire certaines interviews de fin de tournage de
Lord of the Rings où le réalisateur énonçait clairement son refus, de peur de tomber dans une nouvelle entreprise aussi grande que celle qu'il venait de terminer. Un choix compréhensible de la part d'un réalisateur venant initialement du petit budget, mais un choix qui se verra finalement contredit par une suite de situations d'urgence. Problèmes de droits empêchant le lancement en production, départ de Sam Raimi (ami de Jackson qui l'avait aidé à boucler certaines scènes de la trilogie) puis de Guillermo Del Toro du poste de réalisateur, problèmes financiers du côté de la MGM, autant de situations qui feront que Jackson, scénariste et producteur du film, devra prendre le poste de réalisateur sans avoir réel d'autre choix, afin de sauver le projet. Obligé de repenser tout le film afin de ne pas faire des films du Del Toro réalisé par Jackson, ce dernier n'aura finalement qu'une année de pré-production avant de se lancer dans le tournage, là où il avait eu trois ans pour la précédente trilogie. Une précipitation compréhensible (le projet coûtait déjà assez cher et se devait d'être lancé au plus vite tout en étant rentable) mais qui finira par aboutir à la trilogie du Hobbit, qui sera une réussite financière, mais qui ne convaincra pas autant qu'avait pu le faire
The Lord of the Rings à son époque.
Forcément, l'adaptation d'un livre comme The Hobbit allait forcément donner du fil à retordre. Après le succès de
Lord of the Rings, comment adapter correctement ce qui est initialement un conte pour enfants tout en gardant une cohérence visuelle et thématique avec la-dite trilogie ? Cette question aura d'abord trouvé une réponse sous la forme d'un diptyque, puis d'une trilogie annoncée en cours de tournage. Un choix très surprenant vu l'épaisseur du livre original, qui fait plus penser à un coup des producteurs, soucieux de rentrer dans leurs frais, que d'un choix délibéré de Jackson, qui annonçait pourtant avoir assez de matériel scénaristique pour rendre cela possible. Il en découle une adaptation plutôt libre donc (on approfondit beaucoup sur le destin de Thorin, ce qui donne par ailleurs une storyline très réussie, sur le danger de Dog Guldur, mais aussi sur Azog, personnage absent du livre), mais néanmoins fidèle dans l'esprit de ce que Tolkien avait pu écrire. Jackson joue donc en permanence entre l'ambiance du conte et la noirceur que pouvait avoir
The Lord of the Rings, pour un mélange plutôt réussi mais indéniablement différent de la première trilogie. Humour beaucoup plus présent, enjeux plus simples (surtout dans ce premier volet où il n'est quasiment question que de récupérer un royaume), personnages plus cartoonesques (cette chanson de gobelins qui renvoie directement à
Meet the Feebles), un tout qui donne forcément sous la direction de Jackson un aspect de roller-coaster où le danger fait place au spectacle pour le spectacle.
Ce qui aurait pu être raté chez un autre réalisateur devient génial chez Jackson, car s'il y a bien une chose de réussie dans ce film (ainsi que dans les opus suivants mais j'en parlerais en temps voulu) ce sont les séquences d'action. Jackson l'avait déjà prouvé avec son King Kong, il a peu d'équivalent quand il s'agit de signer une séquence d'action visuellement virtuose et ludique dans sa façon de jouer avec l'environnement. On a donc ici une heure entière en guise de climax où ça ne s'arrête quasiment jamais, avec notamment une course-poursuite dans les grottes des Monts Brumeux où l’œil du spectateur est sans cesse requis pour faire attention à une multitude de péripéties. Sur ce point, et malgré sa durée forcément too much (un défaut récurrent chez Jackson), le film fait son boulot de blockbuster et le fait très bien. On pourra toujours dire que le rythme est inégal (il est vrai qu'avant d'arriver à Rivendell, ça fonctionne en dent de scie) ou que Jackson loupe le coche de certaines séquences (les énigmes dans le noir, LA séquence la plus dure à retranscrire puisque duel verbal de plusieurs minutes avec deux personnages face à face), mais le fait est que
An Unexpected Journey s'avère être un opus particulièrement plaisant, quand bien même il n'atteint que rarement la qualité de la trilogie
Lord of the Rings (même les actes de fan-service n'améliorent pas ce point).
Visuellement c'est magnifique, effets visuels éblouissants (Gollum et le Roi Gobelin sont aisément deux des personnages virtuels les plus réussis créés jusqu'ici), direction artistique à tomber (le prologue est un festin pour les yeux à ce niveau là, et chacun des nains se voit posséder une véritable identité visuelle, ce qui était loin d'être évident), mais néanmoins on pourra reprocher à Jackson sa volonté d'opter pour le numérique ainsi que pour le tournage presque entièrement en studio. Si l'un peut facilement s'expliquer (moins coûteux et permettant l'utilisation du HFR 3D : LA meilleure façon de voir cette trilogie), l'autre est sans doute l'un des effets de la rapide pré-production. Du coup, d'un point de vue purement visuel, le film marque clairement une rupture avec la première trilogie qui carburait énormément au décor naturel. Certes, on trouve quelques beaux paysages de la Nouvelle-Zélande par moment, mais pour le reste les décors, bien que réussis, ne donnent jamais l'impression d'évoluer dans le même univers. Volonté de Jackson de signer quelque chose de foncièrement différent ? Pourquoi pas, mais cela dénote forcément avec l'intention première de la trilogie : se lier aux films précédemment faits.
Côté musique, Howard Shore rempile, et autant je n'avais absolument rien à redire sur chacune des compositions de Lord of the Rings, autant son travail est beaucoup plus passe-partout sur cet opus, moins mémorable, et ce malgré un super thème principal qui, hélas, pour des raisons que j'ignore, sera abandonné dans les deux films suivants. L'ambiance sonore est bien là, mais il suffit d'entendre le thème des Nazguls réutilisé sans aucune raison pour comprendre que même du côté de Shore, il y a dû avoir une certaine pression de temps. Enfin, côté casting, c'est une vraie surprise puisque la présence de Martin Freeman en Bilbo fonctionne à merveille alors que ce n'était pas forcément le choix le plus évident. Quand à Richard Armitage, c'est de loin LA révélation de la trilogie. Un personnage certes moins charismatique qu'un Aragorn, mais qui envahit toujours l'écran de sa présence. Ce début de trilogie (ou la trilogie tout court) qui sent bon l'aventure aura beau avoir ses détracteurs, reste que voir un film aussi reluisant et maîtrisé naître d'une production aussi chaotique force le respect envers Jackson, qui sait clairement porter de tels projets à bout de bras. Certes, le fossé avec
The Lord of the Rings est là, mais Jackson n'oublie pas l'essentiel : conserver ce qui fait la force du livre original tout en livrant un pur spectacle où le budget se voit à chacun de plans.