Ce qui saute aux yeux, c'est que
The Drop parvient à insuffler ce qu'il faut de vie à son histoire et ses personnages, qui sentent le vécu à plein nez. Au fond, la réalisation n'a rien d'extraordinaire, elle est même plutôt classique dans son genre, mais elle se met tout au service du script qui met un point d'honneur à l'authenticité des situations où ça parle de bon whisky, de la façon de traiter un chien, bref de valeurs de la vie qui n'ont pas de prix. Ainsi, on prend le pouls de la ville et des réactions des personnages, on nous laisse le temps de les connaître avec subtilité (dans le sens qu'on les sent proches de nous, avec un côté ambigu dans leurs motivations qui permet à l'histoire de ne pas être trop linéaire malgré son apparente simplicité).
Quand aux enjeux et au cadre, ils sont balancés en deux minutes montre en main avec une efficacité redoutable expliquant entre autre le nom du bar. Mais par la suite, ce film perd un peu sa couleur "polar" et se porte davantage sur l'atmosphère des bas-quartiers de New-York (très réussie et immersive) et les relations entre personnages. Et même si le rythme est lent et posé (on compte deux ou trois coups de feu tout au plus), difficile de s'ennuyer grâce à une certaine imprévisibilité dans le scénario, à savoir un milieu violent qui peut vite déraper vers les extrêmes, et des personnages peu aisés à percer. On parvient aussi à nous toucher mais sans pathos lourdingue. On pense bien sûr au chien qui offre au spectateur une manière très simple de s'attacher au personnage de Thomas Hardy, mais ça regorge aussi de petits indices sympa sur les manières d'être et/ou motivations de chacun, sous le signe de la survie et de la seconde chance. S'il faut s'investir un peu dans l'histoire pour saisir pleinement les nuances du scénario, rien de bien méchant à comprendre pour autant.
Pour incarner ces personnages avec crédibilité et présence, il fallait un casting solide, ce qui est le cas ici. Tom Hardy est une nouvelle fois incroyable en mec simple et (apparemment) placide qui ne demande rien d'autre qu'on n'empiète pas dans son cercle intime (et il faut vraiment le pousser à bout pour qu'il craque - tout en préservant un calme à faire frémir -). Le regretté James Gandolfini assure en patron de bar ayant perdu de sa superbe d'antan (ce qui est ironique vu le rôle qu'il tenait dans les
Sopranos), et cachant bien son jeu derrière ses airs de gros nounours. Noomi Rapace, pour une fois, joue juste, et oui, comme quoi il fallait qu'elle fasse profil bas pour que ça fonctionne, son rôle d'âme blessée par la vie faisant la moitié du travail. Mais ma plus grande surprise vient de Matthias Schoenaerts que j'avais juste aperçu dans
De Rouille et d'os, et là il confirme son talent, incarnant ici un mec pourri par son environnement venant pourrir celui des autres d'une manière parfaitement aléatoire et incontrôlable (ce rôle d'électron libre lui va si bien).
J'ai encore une préférence pour
Mystic River pour le titre de la meilleure adaptation d'un Lehane, mais c'est aussi parce que j'ai eu plus de temps pour l'apprécier à sa juste valeur et l'apprivoiser, tandis que
The Drop est encore tout chaud dans ma tête, mais il est fort à parier qu'il vieillira bien avec le temps faisant son oeuvre.
The Drop, c'est tout simplement une proposition de cinéma qui fait passer la sincérité du projet avant les effets de style, avec un traitement qui se met au niveau des personnages tout en préservant une note de mystère. Parmi les scènes à retenir, nous avons un dénouement à la Eastwood où l'espoir côtoie les zones d'ombres, où l'attitude prime sur la morale. En résumé, plus qu'un polar (qui sert surtout de prétexte),
The Drop est un beau film intimiste sur les petites gens des bas-quartiers, les gueules cassées en quête de seconde chance épris de certaines valeurs en déliquescence, ce que ne renierait pas Scorsese dans l'esprit (mais c'est très différent dans le traitement).
Note : 8.5/10