Mystic River, Clint Eastwood, 2003
De tous les Clint Eastwood de sa période 2003-2009, Mystic River est celui qui m'impose le plus grand respect. Et pourtant il revient de loin, après quelques films pas vraiment mauvais, mais pas mémorables, en mode pré-retraite. C'est avec ce film qu'il renoue avec ce qu'il fait de mieux avec le western, le drame intimiste. Du début à la fin, son histoire est poignante, bien écrite, sans aucun bout de gras, extrêmement sombre sans jamais tomber dans le pathos et la facilité, d'une part grâce à l'excellente interprétation de ses acteurs, mais aussi grâce à la retenue dont il faire preuve à travers une réalisation, certes académique dans la forme, mais qui l'est beaucoup moins dans le fond et le traitement. Il retrouve en effet un thème qui a marqué sa carrière d'un fer rouge, à savoir jusqu'où le passé peut nous hanter, avec ses conséquences sur les individus, mais avec une petite touche bien à lui d'optimisme et d'humanisme (sinon ce film serait bien plus suffocant qu'il ne l'est déjà) héritée de ses films de cow-boy, constituée de rédemption et de loyauté, malgré/grâce aux actes, par delà la morale conventionnelle.
Un film qui captive surtout de par l'étude méticuleuse de caractères dont il fait preuve, prenant le temps qu'il faut pour déployer les relations interpersonnelles, faire peser le poids du passé de chacun, de manière plus (l'ex-gangster avec son passé de prison) ou moins (le flic avec sa femme qui ne lui parle plus) suggestive. Se détache bien sûr le trio d'enfants devenus adultes, le policier droit dans ses bottes qui mène l'enquête, l'ex-gangster fou de sa fille et de sa famille qui a laissé son passé derrière lui, et l'ex-victime toujours traumatisée et essaie malgré tout de vivre normalement. Mais tous les autres personnages existent de la même façon, grâce à de petites scènes qui ont toutes leur importance, mais surtout grâce à la partie enquête, qui ne paie pas de mine au début (au moins elle est réaliste et crédible). Elle occupera finalement la place centrale du récit, révélant au fur et à mesure son importance en perçant le vernis des apparences. D'ailleurs, lorsqu'on ne se rappelle plus de l'intrigue (comme moi), difficile de ne pas se laisser prendre par ce script bien malin (et beaucoup plus subtil que celui du futur L'échange qui traitera du même sujet de l'enfance gâchée).
La grande force du film, par delà ses qualités de mise en scène (c'te façon élégante et subtile de souligner les zones grises des personnages) et d'interprétation (aucune fausse note), repose sur la richesse d'un script qui va au bout de ses intentions. Clint aborde ainsi avec force et conviction la perte de l'innocence (avec un petit côté conte de Grimm, et des plans qui se répondent, comme ce plan sur la voiture qui s'en va au loin), le déterminisme et l'héritage de la violence à travers les générations à la manière d'une tragédie moderne (j'adore tout le passage avec l'enquête sur l'arme à feu qui représente l'approche pragmatique de la police, par rapport à la réaction passionnée mais non moins justifiable de l'ex-gangster), l'épaisseur de la solitude (il suffit de cette petite scène muette d'une femme au bout du fil au plan serré pour faire ressentir tout le poids du monde), mais aussi la façon dont certaines choses peuvent sceller une amitié ou une alliance (je pense surtout aux femmes et aux mauvaises graines qui se distinguent par leur degré de loyauté).
Le petit truc qui fait toute la différence selon moi, c'est de traiter de manière égale chacun des personnages, de donner des raisons variées de les apprécier ou de les rejeter (notamment à travers leurs relations et surtout leur façon de respecter leurs principes), et à réussir à faire passer de l'espoir en de moments aussi terribles que dans cette funeste conclusion. Un gros uppercut dans la face en ce qui me concerne, qui ferait revoir ses codes de morale à un curé, et peut-être l'un des tous meilleurs Clint Eastwood, parmi mes préférés en tous cas. Ce mélange drame/polar/étude de caractères porté par un casting quatre étoiles est tout simplement immense.
Note : 10/10