Un petit mot sur la
Director's cut, une des meilleures que j'ai pu voir jusqu'à présent. La version cinéma était déjà très bonne, mais celle-ci va beaucoup plus loin dans sa partie fantastique, si bien que les deux montages offrent une expérience de cinéma franchement différentes et complémentaires, selon que vous préférez être un peu dans le doute par rapport aux visions de l'adolescent - prémonitions ou folie ? -, ou au contraire prolonger les deux interprétations proposées, tout en conservant quand même une bonne dose de mystère.
Donnie Darko est un film extrêmement riche, original, et intelligent, qui parvient à nous parler de voyages temporels, du mal adolescent, et des travers de l'Amérique puritaine d'une manière très subtile et jamais gratuite. En un magnifique plan-séquence, on nous introduit à la vie lycéenne en passant d'un personnage à l'autre - une mise en scène que reprendra à son compte
Elephant - où chacun va finalement se connecter d'une manière inattendue, en grande partie grâce aux actions de Donnie Darko. A travers le sentiment de fin du monde transmise par les visions du garçon, viennent en effet cohabiter une dimension fantastique avec l'apparition d'un mystérieux lapin géant qui lui dicte quoi faire - on ne sait jamais trop si c'est de la schizophrénie ou la réalité -, et les difficultés ou questions auxquels chaque jeune de son âge peut faire face, comme le sexe et les premiers émois, les agressions et les humiliations, la destinée et la liberté (en parlant de Dieu, de la science, de la littérature et de dessin-animé), la complexité des émotions, la notion de sacrifice étendue aux autres espèces, la solitude et la crainte de la mort, les problèmes de communication et d'isolement. En mettant de côté les visions de Donnie, cet adolescent surdoué vise juste sur sa condition, s'interrogeant et disant ce qu'il le dérange à la face de ses professeurs, avec surtout l'excellente confrontation avec ce pseudo-gourou et sa disciple par rapport à leur perception manichéenne de la vie, qui en révèle toute la fausseté et hypocrisie. Des troubles partagés par tous les autres lycéens, dont les visions cauchemardesques ne sont au fond qu'une (ébouriffante) manifestation surnaturelle, et lui confère une aura de super-héros ou de psychopathe, au choix. Et on ne se contente pas d'un portrait sur les jeunes, mais on effleure, de manière aussi juste et nuancée, leur sphère relationnelle, comme les parents (bienveillants ou obtus), les professeurs (ouverts ou simplistes par rapport à l'éducation), et aussi les relations entre jeunes (bêtes et méchants ou formant une belle amitié), tout en se heurtant à l'impuissance des uns et des autres à changer toutes les choses dans le bon sens, ce qui confère au sacrifice final un sens Deus ex machina ou messianique particulièrement puissant.
La mayonnaise prend bien, d'abord grâce à son excellent casting d'acteurs bien dirigés, porté par un bouleversant et intrigant Jake Gyllenhaal qui passe beaucoup de choses par son regard, son petit sourire, ou son attitude, et une galerie de personnages qui transmettent tous un petit truc par rapport à ce qu'ils voudraient être/faire, parfois brimés par cet environnement choqué par des idées soit-disantes offensantes, mais simplement humaines et importantes pour comprendre et capter la vie en profondeur. A ce titre le spectacle de fin d'année à la
Little Miss Sunshine est très émouvant, car il révèle la nature de chacun et on les sent libérés à cet instant précis. Puis par la capacité du réalisateur à passer d'un registre à l'autre sans que ça paraisse jamais faux - et pourtant il y aurait de quoi -, réussissant ainsi à produire un récit qui s'alimente constamment de nouvelles atmosphères, pistes, et interprétations, avec des enchaînements rendus fluides, notamment par ce fil directeur du pressentiment de la fin du monde et des visions de Donnie (avec une très présente voix-off du lapin et des extraits du bouquin sur le voyage dans le temps soulignant ce passage vers des séquences "autre"), qui fournit à la mélancolie vécue par cette petite communauté un caractère unique. Enfin, il y a l'excellente bande musicale et sonore, à la fois diversifiée et entraînante, qui rajoute de la force aux images, augmente l'immersion, et souligne les émotions sans trop en faire (le placement de la chanson
Mad World est simplement magique).
Pour moi, ce film est l'une des meilleures évocations de l'adolescence et des maux de l'Amérique puritaine avec
American Beauty,
Elephant, et
Virgin Suicides, qui me fait à chaque fois passer un excellent moment, très divertissant tout en me posant plein de questions, par rapport à la narration cyclique du film, mais aussi et surtout sur tous les aspects existentiels qu'on finit par accepter si on ne les interroge plus ou qu'on suit ce qui est convenu de penser ou de faire.