Ouch ça rend toute chose ce film. Dans le genre
rape and revenge, j'en ai rarement vu qui vont aussi loin dans leur propos. Sec, nerveux, noir, et violent. La mise en place est rapide et réussie, en peu de temps on rentre dans le film. Sans grand discours et avec peu de choses l'empathie se met en place avec la victime puis son vengeur, et l'on se met à détester le bourreau. Faut dire que les deux acteurs charismatiques qui les incarnent y mettent du leur, Lee Byung-hun, dans le rôle d'un agent secret qu'on devine bon, met son humanité de côté pour faire ce qu'il a à faire pour venger sa femme - un coeur pourtant délicatement ouvert au début -, et surtout Choi Min-sik, absolument incroyable dans la peau de ce tueur cruel et sans scrupules qu'on se plait à haïr jusqu'au bout.
I saw the devil est une expérience de cinéma extrême qui se vit comme une série d'uppercuts qui ne ménagent pas le spectateur. Sauf qu'à la suite du premier meurtre absolument cruel et gratuit, le torrent de violence qui suit semble presque justifié ... Le principal intérêt de cette course-poursuite est l'inversion des rôles, la victime devenant le bourreau et réciproquement, à l'instar de
Sympathy for Mr Vengeance. Mais l'originalité et ce qui constitue toute la fureur de cet opus est ailleurs, car étrangement le justicier laisse l'autre, le soigne, afin de faire durer la vengeance comme une sorte de
Bip Bip et le coyote, jaillissant d'un coin juste avant que le bourreau ne jouisse de ses crimes. On se surprend alors à apprécier les sévices et les méchantes taloches que se prend ce dernier. Cependant, si cette violence est brute et frontale, elle évite l'écueil de la complaisance, car si on ne compte pas les inserts graphiques, il y a aussi du hors-champ, du cadrage travaillé, de la bonne gestion de tension, le but étant surtout de nous mettre mal à l'aise en même temps que de partager le plaisir ambigu de l'exécution vengeresse. Une courte scène permet aussi un recul bien vu, histoire de se rappeler que son action n'est peut-être pas éthique.
Il est difficile de parler d'un film qui se vit d'abord de l'intérieur des tripes, transformant l'horreur en traversée quasi poétique vers le côté obscur - la BO lyrique joue beaucoup dans ce sens même si elle sait aussi s'effacer pour faire ressortir la violence sèche et glauque des affrontements/meurtres -, imprimant brutalement les sens afin d'apparaître ce que l'humain est capable de faire pour rétablir l'équilibre entre le bien et le mal. Le peut-il réellement, là est la question. C'est justement ce à quoi se résume cet intense jeu du chat et de la souris, qui par ailleurs, sinon ce ne serait pas drôle, nous gratine de séquences furieuses et sacrément jouissives, variant les plaisirs - avec clins d'oeil référentiels au ciné d'horreur -, même si les trois-quarts du temps le bourreau semble désavantagé face à la maîtrise martiale de son adversaire têtu et appliqué, au point qu'on souffrirait presque pour lui. Et l'intelligence du script est de ne pas sortir de ce jeu d'opposition, d'aller au bout de son intention, le sourire sadique du bourreau versus l'immobilité faciale du vengeur, chacun jouant à qui va faire défaillir son prochain dans cette virée vers la cruauté pure.
Parvenus à la fin, nous nous sentons un peu coupables d'avoir apprécié ce film tant il nous pousse dans nos retranchements moraux par empathie avec le vengeur qui se rapproche dangereusement de son pire ennemi, même si au fond un sursaut d'humanité ou de sadisme lui revient, on ne sait plus trop, permettant enfin au mal d'être vaincu par le mal. L'une des grandes forces du film est d'avoir su maintenu cette empathie qui n'était pas jouée d'avance malgré cette première séquence qui devrait pouvoir justifier tous les retours de bâton possibles. 2h20 qui passent à vive allure, chose rare pour le signaler. En tous cas une perle noire viscérale qui nous met dans tous nos états, bâtie simplement sur deux monstres qui se valent presque sur l'échelle de l'exécution de horreur. Et bon Dieu que c'est bon !