Les bêtes du Sud sauvage, Benh Zeitlin (2012)
Ce film me laisse perplexe. D'un côté il propose une grande richesse thématique, à la fois initiation d'un enfant apprenant avec son père comment vivre sans lui, et fable sociale, écologique, et philosophique, le tout baignant dans un cadre réaliste teintée de poésie que ne renierait pas Emir Kusturica. Et effectivement, la gamine qui tient le rôle principal est un vrai bout de caractère à elle toute seule. Par contre j'ai beaucoup plus de mal avec le traitement tant visuel que moralisateur du truc. Vas y que je te balance des images pas cadrées, parfois floues, et atteintes de Parkinson pour figurer le point de vue de l'enfant, et montrer que nous, habitants du Bayou (en Louisiane), on a rien à envier des gens de la ville. Il n'y a rien de mieux pour me sentir exclu de ce discours que de couper ainsi le monde en deux, alors qu'il devrait pourtant toucher ma fibre sensible, avec ces petites gens qui ont un savoir-vivre concret et une force de vivre épatante, la perception imaginaire du réel de la fille qui n'enjolive même pas son environnement mais désigne les choses par son esprit enfantin, ou ce deuil qui se profile au premier et dernier plan pour cette dernière et va constituer le gros de ce récit épuré mais dense, la préparant à affronter la réalité, en l'acceptant et en même temps en la transfigurant par le fantasme onirique.
De plus, je ne sais pas si c'est fait exprès, mais l'enchaînement des images est franchement fragmenté et chaotique, si bien que ça n'aide pas pour accrocher à cette histoire qui insiste déjà bien sur le misérabilisme de cette situation de fin du monde (tout en nous poussant dans l'autre sens par cet esprit de résistance familial et collectif face à la force des éléments naturels et de la stigmatisation sociale, avec une petite touche fantastique/allégorique imaginée par la petite). Au fond de moi-même, je ne peux pas détester ce film, et il s'en dégage même un certain charme (le cadre de la Louisiane, l'accent atypique de ses habitants, cette merveilleuse musique entêtante, et cette énergie inépuisable et désespérée à la fois). Mais à part sa tendance moralisatrice et séparatiste (du monde global), je le trouve simplement trop hystérique, voire écoeurant (encore cette caméra - je ne comprends pas qu'il ait gagné la Caméra d'or à Cannes - qui s'agite tout le temps). Enfin on nous insère directement avec les personnages (hormis le père et la gamine, et à la limite la mère, tous les autres sont juste une toile de fond), ce qui peut être une nouvelle cause de rejet par manque d'implication. Dans le même genre, bien que ce soit finalement assez différent (car on suit le point de vue d'un adolescent issu d'un milieu aisé, donc plus construit, moins misérabiliste, et davantage assumé comme conte à part entière), j'ai préféré sensiblement Max et les maximonstres de Spike Jonze. Bref le genre d'oeuvre à laquelle on adhère beaucoup ou pas du tout, tant ses choix esthétiques et narratifs paraissent radicaux et parfois discutables.
Note : 5.5/10