Revu considérablement à la hausse depuis que je l'ai vu au ciné, ayant le souvenir d'une première partie parfaite (jusqu'à l'abandon de David dans la forêt), et d'une suite en route libre avec une fin ambigüe et décevante. Je redécouvre ce film avec de nouveaux yeux, qui m'apparaît désormais comme un chef d'oeuvre de la Science-fiction, rassurant la place de Steven Spielberg auprès des Wachowski comme tenants actuels du genre. Et si on aperçoit ici et là des traces de la patte de Kubrick, destiné originellement à réaliser
IA (un sujet cohérent avec
Eyes Wide shut où la question de l'amour d'un enfant se substituerait à celle de la sexualité du couple, et où le regard occupe une place primordiale), Spielberg a repris le projet en l'intégrant totalement à sa vision personnelle. En effet, ce cinéaste (dont j'admire d'ailleurs la progression personnelle, hanté par les mêmes questions dans ses films), interroge différemment un thème qui lui tient à coeur, à savoir la cellule familiale décomposée, par un nouveau prisme rappelant
Blade Runner, celui de la robotique. Comme si le film de Spielberg était une réponse au film de Ridley Scott, où la quête de l'enfant David (la fée bleue) remplaçait celle de Rick Deckard (la Licorne).
Or, en dépit d'un sujet riche et complexe, Spielberg nous offre ici une oeuvre limpide de bout en bout, préférant un langage symbolique et visuel aux dialogues sur-explicatifs (sans négliger leur qualité pour autant) qui nous invite à interroger notre rapport au réel et au factice, avec un fil directeur simple et profond à la fois : une machine artificielle est-elle capable d'aimer ? C'est quoi un enfant, un parent ? Et le rapport de la création au créateur ? La première partie (la plus Kubrickienne dans l'âme), prenant la forme d'un huis-clos exceptionnel, est déjà une belle mise en bouche de cette expérience où l'on découvre la difficulté d'être parent d'un enfant aussi différent et semblable à n'importe quel autre (surtout lorsque la jalousie et la méchanceté légendaires des enfants sont de la partie). La suite n'est rien moins qu'une traversée du véritable monde (opposé au cadre artificiel du foyer familial lentement gangrené de l'intérieur) à la manière du
Magicien d'Oz (pour la simplicité de son itinéraire, ses pièges, et son parcours initiatique), où la marque inaltérable de l'amour d'une mère pour son enfant prend la forme d'une aventure à la manière d'un conte merveilleux (au double sens, à la fois désenchanté et dépaysant). L'une des grandes forces du récit est donc sa simplicité narrative, mais où le sublime
Level design (ces décors éclatants de lumière qui contrastent avec la triste et froide réalité humaine victime d'une violence galopante ; le look de ces robots qui, malgré leur état de décomposition avancé, laisse échapper des visages étrangement humains) en démultiplie l'impact et le sens.
Enfin,
AI est un concentré d'émotion. L'équilibre idéal entre divertissement et réflexion. Entre image, musique, et message. Une perfection formelle digne de Kubrick où miroirs et figures géométriques, marqueurs identitaires par excellence, occupent une place de premier choix. Il fallait aussi un excellent casting pour nous faire croire à cette relation ambiguë entre humains et robots, et c'est le cas. En tête, le talentueux Haley Joel Osment, bluffant dans la peau de cet étrange enfant-méca, à la fois spécial, inquiétant, et attachant, qui passe énormément de choses uniquement par son regard. Puis Jude Law, très classe en robot de l'amour, avec ses petites danses ou mimiques inspirées de la comédie musicale ou de crèves-coeur tels qu'Elvis. Comme ce nounours robotique qui est plus qu'un jouet, ils parviennent à transmettre cette humanité qui manque cruellement aux humains eux-mêmes, tout en rappelant constamment leur facticité et leurs limites par des détails. Le dernier acte (plus pessimiste que dans mes souvenirs) n'en est que plus émouvant, lorsque les humains/créateurs ont laissé place à un nouvel ordre autonome (non ce ne sont pas des extra-terrestres), qui décide de rendre hommage une toute dernière fois à ce qui leur manque désormais, cette fragile humanité, en réalisant le rêve pour cet enfant de revoir sa mère. La boucle est bouclée.
Une superbe révision spielbergienne du conte de Pinocchio. Plus qu'un film de SF, un divertissement limpide à la fois merveilleux et brillant sur l'amour d'un enfant pour sa mère, avec ses désirs, ses rêves, et ses angoisses.