Revolutions est certainement le moins bon de la trilogie. Déjà le titre est trompeur, loin d'être réellement révolutionnaire (je joue avec les mots), puisqu'il est la suite directe de
Reloaded. Tandis que le premier avait la grande qualité de nous faire découvrir la matrice via le regard de Néo, et d'en garder beaucoup sous la pédale tout en maîtrisant tout ce qu'on nous montrait, et que le second nous fascinait par sa capacité à pousser jusqu'au bout les questions sous-jacentes d'un tel univers bourré de paradoxes, le dernier pourrait se résumer à cette sentence répétée comme un refrain :
tout ce qui a un début a une fin (la subtilité étant qu'il n'y en a pas vraiment, révélant le sens voulu et véritable du titre, ce que l'on peut comprendre depuis les révélations de l'Architecte) : Zion doit défendre sa cité, et Néo va affronter Smith pour sauver cette dernière. Ainsi, on ne peut pas vraiment reprocher à ce film son manque de cohérence par rapport aux deux autres. Il en est autrement pour son problème de rythme, puisque l'intrigue arrivant à sa fin, on dirait qu'on nous prépare simplement aux deux moments d'anthologie soulignés plus haut avec quelques redondances ou airs de "déjà vu" (créant des arcs narratifs avec le premier parfois fascinants). Et les choix esthétiques, encore une fois, ne sont pas toujours fameux, comme le passage par la boîte de nuit du mérovingien au look SM (par contre, j'aime bien le combat qui précède même s'il n'est pas totalement original), ou encore Néo coincé entre le monde des machines et celui des humains faisant face à un clodo en guise de maître des lieux (peut-être pour souligner son lien avec ces derniers alors qu'il surclasse l'élu).
Par contre ce qui m'a autrement intéressé, c'est d'abord son ton, tragique et désespéré (même si on doit du coup se payer des personnages qui font la gueule la majeure partie du temps), comme le dernier acte d'un Space-Opéra, avec comme points d'orgue ces deux puissantes séquences que sont la bataille des Méchas (superbe design au passage, par contre les péripéties ne sont pas toujours palpitantes et un peu pataudes, comme les deux meufs qui s'aventurent trop facilement dans les dédales de la ville) contre les machines, et le combat ultime de Néo contre son Némésis qui donne lieu à un cadre dantesque fabriqué à la mesure de ce dernier : sans vie, homogène, impersonnel, purement fonctionnel (bref comme une Matrice atrophiée). Certes, cela fait bizarre de retrouver une mise en scène à la DBZ, mais elle ne manque pas de souffle, et je l'accepte bien comme démonstration de la puissance pure (qui ne suffira pas justement pour la victoire). Je trouve aussi le passage à la ville des machines magnifique, et réduit encore la frontière entre les deux mondes (la peur des petites machines, la beauté des lieux bien qu'étrange). D'autre part, et c'est pour moi l'un des sens de cette "révolution" (hormis cette conclusion finale à laquelle ni les humains ni les machines ne s'attendaient, qui forme un cycle infini entre les trois épisodes de la trilogie), c'est la participation des destinées individuelles : Néo est peut-être l'élu, mais sans les autres il ne peut rien accomplir (tout n'est pas intéressant, mais j'aime bien cette remise en question de sa toute-puissance, et son humanisme qui fait tout basculer, et ne finit pas d'interroger le bien-fondé de l'équation matricielle). Et c'est aussi là que réside le point commun qui achève de mettre d'accord les deux mondes : chacun remplit sa fonction, jusqu'au bout, machines et humains. Ce n'est peut-être pas révolutionnaire comme dénouement, et même un peu cliché, mais ça fonctionne bien.
Ainsi, cet épisode est bourré de défauts plus ou moins graves (surtout ses lourdeurs et son rythme inégal). Par contre, si la fin apparaît un poil déconcertante avec ce ciel patiné façon "We are the world", lorsqu'on replace cette dernière dans son contexte et ses intentions, on se rend compte de l'ironie de la chose, et de l'intelligence du récit qui nous invite à revoir toute la trilogie sous un autre angle, comme si rien n'était réellement réel, la matrice comme la réalité elle-même. C'est donc plutôt ambitieux cette fin ouverte (avec quand même moins de questions non résolues qu'au début), et montre aussi à quel point l'intrigue, même démultipliée, a été pensée dans ses moindres détails. On y trouve aussi certainement l'un des meilleurs bad-guy de l'histoire de la science-fiction, d'une complexité rarement inégalée (à part Roy de
Blade Runner, je ne vois pas quel personnage peut s'y mesurer), qui parvient même, je trouve, à supplanter Néo dans ce dernier acte, en termes d'intérêt (car il pousse jusqu'à l'absurde la logique de la causalité qui a bien sûr ses limites avec l'amour, l'humanisme, et l'espoir, des principes qu'il ne peut comprendre, et dérèglent les partitions de l'Architecte et de l'Oracle). Pour conclure, il est rare pour un Blockbuster d'y trouver un scénario de SF aussi ingénieux dans ses rouages, doublé d'un divertissement épique. Une prise de risque que les frangins vont rééditer (avec de moins en moins de soutien semble-t-il) avec
Speed Racer,
Cloud Atlas, et bientôt
Jupiter Ascending.