Meilleur que ce que ses retours laissaient présager,
J. Edgar efface plus ou moins ma grosse déception des deux derniers films de Clint Eastwood après avoir enchaîné de très bonnes choses depuis 2003 avec l'excellent
Mystic River. Certes, les prothèses des visages pour vieillir les acteurs et ainsi garder les mêmes pour une intrigue qui s'étire sur 50 ans sont ici trop visibles (à part Di Caprio, on voit davantage des acteurs portant des masques que les personnages qu'ils sont censés incarner). De plus, Eastwood effleure un sujet probablement trop ambitieux pour lui, affichant une narration assez bancale entre passé et présent (les flashbacks de Hoover ne servent à rien d'autre qu'à exposer une histoire de manière linéaire et didactique sans essayer d'opérer des liens entre les deux), ce qui donne l'impression désagréable que certaines relations sont sous-développées (en tête cette secrétaire indéfectible qui annonçait un aspect intéressant de Hoover, autour de sa vie sentimentale ambigüe, qu'on laisse de côté sans prévenir pour ne jamais y revenir), de la même façon que certains épisodes pourtant centraux de l'histoire américaine qui auraient mérité un meilleur traitement. Cela dit, même si le potentiel semble en partie gâché, ce n'est pas complètement mauvais, et le sujet en lui-même parvient à captiver. Malgré mes réserves, on suit donc avec un certain intérêt le parcours de ce personnage politique qui a été à la tête du Bureau de FBI en ayant un impact non négligeable sur la vie politique et institutionnelle américaine.
Quant à la réalisation et à la reconstitution, c'est très réussi. Peut-être trop académique (comme ce que fait Clint au fond depuis un certain temps) mais ça sert bien le sujet, et Clint n'hésite pas à égratigner au passage son personnage principal et cette page de l'histoire américaine comme il l'a fait si souvent par le passé. La première partie qui se focalise plus sur l'aspect historique est la plus intéressante, où l'on assiste pèle-mêle à la professionnalisation du Bureau, le création de nouvelles lois sur des raisons fort obscures, l'impact décisif de cette personnalité troublée sur le FBI, ainsi que la portée du fantasme américain (l'une de mes séquences préférées du film) consistant à faire des malfaiteurs et ensuite des policiers, des héros nationaux (une image idéalisée que poursuivra Hoover toute sa vie). Ce n'est peut-être pas toujours traité de manière subtile et sûrement avec une certaine redondance, mais les petits rapprochements entre vie privée et vie publique autour de ce personnage sont très riches et prenants (sa crainte de l'ennemi intérieur - y compris dans son administration -, son soucis de l'ordre et du rangement, son complexe d'infériorité et son désir de briller sur le terrain alors qu'il est avant tout un mec de bureau). Bref, Hoover dans toute sa complexité.
Dommage que la seconde partie du film accorde autant d'importance à la vie personnelle de J. Edgar. Certes, cela permet de mieux saisir la richesse du personnage, mais l'intérêt aurait été de garder un meilleur équilibre entre vie politique et vie intime. Ainsi, on insiste une nouvelle fois sur la place de sa mère tant positif que négatif et l'impact qu'elle a eu sur sa vie sexuelle, son homosexualité refoulée, son obsession pour les communistes et la sécurité (encore), son désir de se faire un nom, mais sans que ça serve réellement l'arrière-plan historique, ce qui faisait toute la force de la première partie. Cependant, la finalité est intéressante dans la mesure où ce qui intéresse Clint, c'est l'homme derrière la figure politique, et parvient même à transmettre un peu d'émotion à travers ses personnages (chose pourtant difficile à travers ces masques en latex), mais ça manque quand même d'éléments accrocheurs, à l'image de cet épisode grabataire franchement limite où on s'appesantit avec lourdeur sur la relation homosexuelle de Hoover. Malgré tout, le dénouement final me semble très réussi, car il parvient à concentrer le propos du film, en faisant confronter l'image publique (forcément un peu artificielle) à la vérité et la profondeur de la relation intime. Le genre de fin qui donnerait presque envie de revoir le film selon cet angle, sorte de mise en abyme de la mythomanie de Hoover.
Beaucoup ont reproché à ce film d'être impersonnel, mais en fait lorsqu'on revient sur la filmographie d'Eastwood, je pense tout le contraire. Mais alors que ça avait fonctionné par exemple pour
L'échange qui partage énormément de points communs avec
J.Edgar (défauts comme qualités), comme sa critique des institutions et sa réflexion sur la violence, sa focalisation sur l'humain et l'intime, sa retenue dans la mise en scène, son travail sur les contrastes qui donne au film un aspect "film en noir et blanc" appréciable et permet ainsi de souligner l'ambivalence des personnages, celui-là était tout simplement plus équilibré dans son traitement. J'aurais bien aimé voir Oliver Stone réalisé ce film à sa place lorsqu'on voit son travail sur
JFK et
Nixon, où il parvient à traiter à la fois les nombreux personnages et le contexte historique à travers des arcs narratifs audacieux et un montage explosif les mettant à leur juste valeur.
Finalement, en dépit de nombreux défauts dont un manque de souffle évident, cela reste une oeuvre à découvrir pour une vision non complaisante d'une page complexe des Etats-Unis (et d'un homme qui ne l'est pas moins), et enfin pour l'interprétation de Di Caprio qui parvient, en dépit d'un maquillage encombrant, à transmettre une véritable présence à son personnage (contrairement aux autres acteurs qui sont dans la même situation). Bref, un résultat inégal, mais qui devrait contenter les amateurs du travail de Clint Eastwood et du genre du biopic historique.