La comtesse aux pieds nus, Joseph L. Mankiewicz (1954)
La Comtesse aux pieds nus se présente d'abord comme une tristounette oraison funèbre d'une femme apparemment indomptable et inaccessible. On en retrace alors les derniers moments, d'une manière introspective, à travers plusieurs flash-backs et voix-off masculins qui l'ont connu de près. Si ce Mankiewicz bénéficie d'une bonne accroche en proposant une mise en abîme intéressante entre le cinéma et la vie (à travers un réalisateur de cinéma qui semble être son double), où on fait savoir que les histoires vécues ne ressemblent pas forcément à un scénario déjà écrit, cette version amère du conte de Cendrillon traîne un peu la patte, mais cela dit, propose bien plus qu'une simple romance qui tourne mal, ce qui en fait tout son intérêt.
Dans le collimateur du réalisateur, les sirènes du succès qui fanent ce genre de fleur fraîche et unique, incarnée par une Ava Gardner en état de grâce, qui peine à trouver sa place dans ce milieu du showbiz. Un trait de caractère très bien suggéré par son refus en privé de porter des chaussures (belle allusion au conte précité). Elle est donc la cible de producteurs de cinéma qui ne voient en elle que l'éclat qui peut leur apporter une valeur ajoutée, eux, les égocentriques désabusés, mégalomanes excentriques/imbus d'eux-mêmes, qui en ne réussissant pas à trouver le bonheur en eux, pensent pouvoir se l'acquérir par l'argent ou une promesse de gloire. Seul un réalisateur de cinéma (Bogart, très bon en protecteur de la dame et d'une certaine intégrité oubliée) met le doigt sur sa véritable nature sans pouvoir la saisir réellement, jusqu'à ce qu'un véritable Comte apparaisse presque par magie comme son égal en authenticité et en vérité.
Bref, j'ai beaucoup apprécié la première partie du film qui met en exergue ce milieu de la haute société, où finalement Cendrillon n'est qu'une référence parmi d'autres (comme par exemple Faust), pour mettre en avant un portrait de femme assez touchant et passionnant, un modèle d'inaccessibilité et de mystère, mais aussi de fragilité rentrée, derrière ses airs presque sauvages. Elle incarne le meilleur de la nouvelle noblesse et de la roturière qui n'aurait pas à renier ses origines. Ainsi, on comprend pourquoi tous ces hommes se jettent à ses pieds, avides de cette force de caractère, de cette beauté glaciale qui ne se laisse pas facilement apprivoiser, et de cette classe qu'ils ne retrouvent nulle part ailleurs. Mais dès que le conte rattrape la réalité, bien qu'il n'a rien de très rose en fin de compte, l'intérêt s'estompe alors que le récit se ressert de manière plus convenue et prévisible.
Ce que je retiens surtout de cette oeuvre plutôt mineure de Mankiewicz bien qu'on en retrouve tous les thèmes, tels que le désenchantement d'un âge d'or (l'aristocratie), ou celui des relations amoureuses déçues et désabusées (deux idéaux qui se répondent au fur et à mesure), ce sont les acteurs Bogart et Gardner qui apportent une interprétation juste et incarnée à leurs personnages, ainsi que la qualité littéraire des dialogues, ciselés et à l'intelligence aigüe, qui frappent souvent dans le mille en ce qui concerne ces personnages parfois mal à l'aise dans un rôle que la société leur impose. Dommage que le fil de l'histoire perde en intérêt dès lors que le mystère autour de Gardner se dissipe et qu'on progresse du coup vers un drame sentimental couru d'avance. Un petit Mankiewicz qui s'adresse avant tout à ses amateurs, et aux fans du duo Bogart/Gardner.
Note : 6.5/10