Rolling Thunder - John Flynn (1977)
Faux film de série B mais vrai drame psychologique au final, Rolling Thunder avait tout du film mercantile : si le projet trainait dans les tiroirs du producteur Lawrence Gordon depuis 1973, ce n'est que grâce au succès de Taxi Driver que ce script signé Paul Schrader va trouver un intérêt auprès des majors, ce grâce a un deal qui permit a Gordon de financer en toute liberté les films qu'ils voulait a condition de ne pas dépasser le million de dollars de budget. Or Gordon, ainsi le studio affilié au départ (la Fox) sont quelque peu dérangés par l'allure nihiliste et désincarnée du projet qui voyait au départ un vétéran raciste revenir au bercail et célébré pour des actes de bravoures qu'il n'avait jamais fait, pour finir le film sur un massacre gratuit d'innocents mexicains. Malgré quelques retouches de sa part Schrader sent qu'il ne pourra pas faire le film comme il le souhaite et prend la porte, quittant à la fois le poste de réalisateur et celui de scénariste (bien qu'il soit toujours crédité, il désavoue complètement le résultat final). Du coup, c'est la doublette John Flynn/Heywood Gould qui mène la barque, sans parler de William Devane, alors considéré comme une star en devenir et imposé par la Fox, qui va lui aussi ajouter son grain de sel dans la tournure que prendra le projet pour être en phase avec ses idéaux politiques très a gauche : exit donc le racisme, l'apologie des armes chère a Schrader pendant cette époque et l'action pure.
Traité hâtivement de version série B de
Taxi Driver,
Rolling Thunder se distingue au contraire par sa mise en place très posée et l’intérêt qu'il porte a ses personnages extrêmes dans leurs actes, que ce soit le Major Rane qui a ce besoin irrémédiable de se rappeler les tortures qu'on lui fit subir au Vietnam (
"You learn to love the rope" dit-il au cours d'un dialogue lourd de sens) ou son subordonné, Johnny Vohden qui est l'image du pur soldat de base, fait pour l'action et qui est complètement déphasé dès qu'il revient chez lui, esquissant enfin de larges sourires pendant le final sanglant dans le bordel mexicain car renouant avec sa fonction première de machine a tuer (à noter que le personnage doit son importance dans le récit, grâce à acharnement de Lawrence Gordon qui adorait le personnage, comme quoi les producteurs n'ont pas forcément que des idées de merde). Dans son discours,
Rolling Thunder ne diffère en rien par exemple de
Rambo ou de
Cutter's Way sur la compassion qu'il porte envers ces hommes meurtris, mais encore une fois, je reste abasourdi par la justesse de ton du cinéma de Flynn où il est essentiel chez lui de croire aux personnages, où malgré des outrances "comics" dans l'âme comme la sublime photo archi-contrastée (qui pour le coup est en avance sur son temps
) ou bien le crochet de Rane servant de substitut a son membre tranché, on garde un pied dans le réel avec cette Amérique profonde, un royaume des loosers que n'aurait pas renié le Peckinpah d'
Alfredo Garcia où les bandits sont de vulgaires petites frappes capable du pire pour ramasser un magot dérisoire, sans parler du climax qui lui est un clin d’œil évident a
la Horde Sauvage.
Le plus étonnant reste la façon dont les personnages féminins sont abordés, généralement sous-exploitées quand elles ne sont pas juste absentes de ce genre de récits, Flynn et Gould prennent le choix risqué de montrer des femmes intéressantes dans leur caractère, si la femme de Rane agit comme un catalyseur sur ses actes futurs (même si le film nuancera cela par la suite via un court dialogue), celui de Linda s'avère être la porte de sortie parfaite pour notre vétéran, elle aussi brisée par son passé, elle aussi passionnée par les armes et compatissante dans sa quête de vengeance mais se distinguant par son désir de s'en sortir dans un pays qui n'a pourtant plus rien a offrir. Malgré ces notes d'espoir visibles, Rolling Thunder reste un film profondément noir et pessimiste, totalement en phase avec le ton de son époque (la réplique finale est d'une ironie terrifiante), bien que le public ne suivra pas a sa sortie, la fameuse année où Star Wars cartonne et Sorcerer se plante, comme quoi on ne peut pas toujours faire mouche a chaque fois. Si pour Gordon ce film reste une tempête dans un verre d'eau vu que plus tard il aura le flair de produire des types comme Walter Hill ou McT (respect), par contre pour la carrière de Flynn ça reste un coup dur et il mettra pas mal d'années avant d'être réhabilité (merci Tarantino pour ça, comme quoi le bonhomme ne s'emballe pas que sur des films anecdotiques).
8,5/10