Etant un gros fan des chambaras, il me paraît logique de m'attaquer à ce monument du cinéma japonais qui m'a fait connaître le genre, et qui est resté l'un de mes préférés avec
Hara-Kiri. En outre, ce film a ni plus ni moins révolutionné le cinéma épique, d'une part du fait de son épure narrative allant droit à l'essentiel, et d'autre part par sa science du montage aidé pour la première fois par la présence de plusieurs caméras lors des scènes de bataille. Il n'est pas pour autant exempt de défauts, et sont pour la plupart dû aux conditions de tournage de l'époque ou au style de Kurosawa : problèmes de rythme (surtout dans la première partie) ou trucages visibles. Mais il ressort quelque chose de grandiose de ce film, d'abord par une narration ample, recouvrant de multiples couches un scénario de prime abord simple (des ronins engagés pour protéger de pauvres paysans contre de terribles brigands), puis ensuite par la manière dont le mythe du samouraï est abordé, immergé dans la boue au sens propre et figuré, en quelque sorte l'un des premiers films démystificateurs et crépusculaires du genre (contrairement au film cité plus haut, dans un sens plus humaniste et éthique que politique, le contexte historique étant réduit au maximum, sans faire intervenir quelque autorité que ce soit).
L'une des premières qualités qui frappe aux yeux, c'est le temps donné à la caractérisation des personnages, particulièrement les samouraïs. Loin d'une quelconque sacralisation, le contraste est mot d'ordre, les défauts étant mis en avant pour les humaniser. Ainsi les paysans apparaissent tour à tour misérables (je pense notamment au pillage des samouraïs vaincus qui provoquent un choc général) et courageux, et les samouraïs, à la fois vertueux et bons vivants. La mise en scène ici est importante, car en quelques images on parvient à les distinguer sans plus d'explication verbale. Il y a d'abord le fameux Takashi Shimura, un des acteurs fétiches du réalisateur, qui interprète ici l'un de ses meilleurs rôles avec ce personnage du vieux samouraï, qui a atteint une sagesse et une humilité non pas grâce à ses victoires, mais ses échecs, et préfère la ruse à l'attaque frontale (dixit la fameuse scène où il se déguise en moine pour désarçonner un kidnappeur), alors que l'inverse est plus commun (surtout que se raser la tête, même au nom d'une noble cause, serait perçu normalement comme une marque de honte chez un samouraï). Puis il y a le samouraï apprenti, à la fois romantique et en admiration des valeurs héroïques de l'art du sabre, et spécialement d'un samouraï qui est l'archétype même de cet idéal. Et enfin le faux samouraï interprété par Toshiro Mifune, à la fois soûlard, malpropre, fanfaron, et véritable coeur de l'équipe, car il est le trait d'union entre le camp des samouraïs et celui des paysans, comme le montre brillamment l'évocation de son passé et de son traumatisme, qui justifie d'un trait son caractère et son combat. Les autres ont une bonne gueule et sont bien introduits (ancien compagnon d'armes, bûcheron à la poigne de fer ...) mais sont moins approfondis que ces trois là, bien que ce soient aussi des têtes connues de la troupe Kurosawa.
Il y a aussi une variété importante de tons altérant la linéarité trompeuse du récit, un résumé de ce que peut contenir idéalement un récit de samouraïs, alternant réalisme et détresse des paysans, et panorama picaresque des samouraïs agrémenté de moments d'humour, scènes héroïques et moments de quiétude avant la bataille, leçons de sagesse et idéalisation des samouraïs, et moquerie et désenchantement de la classe des paysans comme celle des samouraïs. Mais au final, la gloire revient aux paysans. Car il ne faudrait pas s'y tromper : malgré l'aura héroïque ou vertueuse (ils ne se battent ni pour la gloire, ni pour l'argent, ni pour l'ascension sociale, rançon habituelle des ronins) qui entoure certains de ces personnages, c'est avant tout la cause humaniste de la mission, la protection des pauvres et opprimés, qui importe ici. Les premiers montages retenus par les occidentaux étaient d'ailleurs amputés de la partie consacrée aux paysans, nous livrant ainsi une version tronquée : en étant vendu comme un film de guerre, on niait alors son message pacifique, et son combat pour les petits. Ce n'est pas pour rien que le "faux" samouraï, d'abord en retrait et marginalisé par son étrangeté, soit peu à peu mis en avant comme le véritable héros, adoré par les enfants par son visage digne de figurer dans un théâtre de marionnettes, et de plus en plus apprécié par les autres par son courage et bonhomie, malgré sa maladresse et son manque de compétences sur le terrain.
Enfin, la réalisation est très bonne, proposant une science du cadrage maîtrisée, exploitant avant tout la profondeur de champ, ainsi que le montage et le découpage qui préfigurent le cinéma moderne (gros plan pour l'émotion, plan large pour la dimension épique, ...). Encore une fois on peut chipoter sur quelques coupes un peu brusques ou au contraire sur la longueur inutile de certaines séquences, mais l'ensemble est de haute tenue, et au final on a droit à un grand film rythmé auquel il est difficile de s'ennuyer. Il y a des idées de composition très intéressantes qui mettent en scène les rapports de force, comme justement celle où on met en retrait le "faux" samouraï, ou lorsque qu'on coupe l'image en deux par un sabre pour figurer l'impossibilité de combiner deux classes d'ordre différentes. Au niveau de la mise en scène, la planification de la stratégie à l'aide d'une carte m'a bien marqué, une technique réutilisée ensuite pour le comptage des ennemis vaincus permettant ainsi une bonne visibilité de l'action déjà mise en valeur par une bonne gestion de l'espace. Et pour terminer, les scènes de cavalerie sont un grand moment de mise en scène, surtout durant les première et dernière séquences. L'arrivée des voleurs qui pénètrent hors de l'obscurité, avec la pluie battante, fait encore son petit effet. Puis il y a bien sûr ce plan final sur la tombe des samouraïs alors que les paysans sont en liesse, qui nous rappelle par son aspect contrasté, à la fois joyeux et amer, que Kurosawa savait comment terminer ses films (une manière de dire que si la violence a été un mal nécessaire pour l'établissement de la paix, elle doit à présent laisser place à la reconstruction).