Ce
Royaume des Geishas est le résultat d'une collaboration entre Hideo Gosha et la romancière Tomiko Miyao, dont il a adapté sa trilogie sur les geishas. Il s'agit du second épisode, se situant entre
Dans l'ombre du loup et
La proie de l'homme. Il s'agit avant tout d'un portrait de femmes au pluriel, avant de se recentrer sur deux d'entre-elles au destin bien particulier, fonctionnant en binôme avec le patron d'une maison de geishas. Malgré l'absence d'un fil conducteur assez puissant pour nous tenir en haleine pendant plus de deux heures, l'esthétisme du film et les thèmes abordés demeurent assez intéressants, tournant autour de la condition des femmes dans le milieu très fermé des geishas et de la prostitution féminine, en rapport avec la criminalité (davantage présent en arrière-plan, du moins jusqu'au climax final).
Bizarrement, je trouve le film plus intéressant lorsqu'il est encore "panoramique", sans personnage principal a priori. L'univers coloré et artificiel de ces maisons particulières se frotte avec l'âpreté de certaines situations. Par exemple, le patron de l'une d'entre-elles n'hésite pas à tâter ou dévêtir les femmes, sans gêne, pour estimer leur valeur marchande. Il ne faut pas oublier que malgré le statut prestigieux qui les distingue des prostituées basiques, elles n'en demeurent pas moins des prostituées de luxe, des praticiennes sophistiquées de la séduction, usant de chants, poésies, danses, mais finissant toujours au lit avec des clients brisant d'ailleurs souvent l'aspect cérémoniel de la chose. Le traitement du film demeure tout de même assez soft dans l'ensemble, mise à part une courte scène contenant des adolescentes faisant leur entrée dans le métier.
Ce qui m'a intéressé également, ce sont les raisons pour lesquelles ces femmes deviennent geishas, et la manière dont elles le deviennent. Habituellement, c'est pour régler leurs dettes, mais elles peuvent aussi être confiées très jeunes pour être placées plus tard, comme un investissement sur l'avenir. Mais deux situations m'ont parues assez particulières : d'abord, un mari n'hésitant pas à vendre sa femme pour régler ses dettes, et une femme qui, malgré l'absence de dettes, veut se frotter au milieu, apparemment pour se prouver quelque chose, je dirais sa féminité et son pouvoir de séduction. Or, même si en apparence elles sont réduites à un corps-objet sexuel, et à la recherche pragmatique de "protecteurs" qui à terme pourraient se marier et ainsi être hors de danger, elles n'ont pas moins de sentiments qu'une autre et sont en quête d'amour, y compris à travers les relations physiques. Au début, on passe assez vite d'une femme à l'autre, mais sans s'attacher réellement à leur sort, on éprouve quand même de la sympathie pour elles. En effet, l'un des grands talents de Gosha est la construction de ses personnages. Pourtant, mis à part quelques-uns d'entre-eux, il ne détaille pas vraiment leur passé ou leur psychologie, mais il sait les rendre vivantes derrière leur masque blanc et poudré de geisha, que ce soit à travers leurs discussions ou sa façon de filmer leurs réactions.
Comme je l'ai dit plus haut, deux femmes se distinguent du lot. D'abord la meilleure geisha du milieu, produit d'un destin tragique, puisque sa mère était elle-même geisha, tuée pour avoir essayé de fuir avec un homme par amour, mais essaie de se rendre utile en s'occupant d'un jeune aveugle. Ensuite la femme du patron, qui veut quitter ce dernier car il semble dénué de tout sentiment, et se "lance" dans la prostitution après avoir été refusée comme geisha (sans dettes, elles sont moins "motivées" ...). Ces deux femmes sont d'abord rivales puis amies, principalement à cause de l'homme auquel ils sont liés, père de la première et amant de la seconde. L'une des intrigues parallèles à ce destin de femmes est la confrontation territoriale entre cet homme et les yakuzas, qui prend de plus en plus de place dans l'histoire. Or, si j'ai beaucoup apprécié la première partie, avec entre autre le pouvoir de séduction de ces femmes faisant l'objet d'un conflit qui vire à l'affrontement physique en guise de remplacement des duels de sabres masculins, je trouve que le passage de la rivalité à l'amitié fonctionne moins bien et j'en ai pas trop compris non plus la raison. Ainsi, l'ennui m'a gagné peu à peu, et vers la fin, ça devient carrément long, et tire-larmes par-dessus le marché avec ces événements tragiques qui s'accumulent de manière presque comique, qui se terminent tout de même sur une touche d'espoir.
Par delà l'histoire et les thèmes traités, il faut avouer que nos sens sont émoustillés avec toutes ces belles femmes montrées à l'écran, et le sens esthétique de Gosha, malgré le manque de scènes dénudées. Une certaine sensualité se dégage de l'ensemble, et l'un des thèmes musicaux, composé par l'immense Masaru Satô, apporte une légèreté bienvenue, avant d'apporter une ambiance plombante vers la fin, lorsque l'histoire devient plus tragique. Ensuite, la réalisation, comme dans tout Gosha qui se respecte, est très sympathique, même si elle manque d'originalité ou de distinction. Le réalisateur s'intéresse avant tout à filmer ces femmes, ces visages, à l'aide de nombreux gros plans, ou de scènes mettant en valeur tantôt leur charme, tantôt leur combativité.