Il était une fois dans l'Ouest |
Réalisé par Sergio Leone
Avec Henry Fonda, charles Bronson, Jason Robards, Claudia Cardinale, Gabriele Ferzetti, Jack Elam
Western, Italie/USA,2h45 - 1968 |
10/10 |
Avec, Il était une fois dans l’Ouest, Sergio Leone a offert au genre qu’il avait créé, le western spaghetti, son œuvre la plus emblématique. Il explore une dernière fois l’autre côté du dollar, celui des hommes sans foi ni loi, avant de s’aventurer vers d’autres horizons cinématographiques.
Il était une fois dans l’Ouest est un requiem, celui du vieil Ouest où régnait l’individualisme, où l’unique dieu célébré était le dollar, âge d’or de ces pistoleros qui mettaient leur talent au service du plus offrant. Frank, Cheyenne et l’Harmonica sont les dernières légendes de cette époque qui s’éteint face au progrès en marche symbolisé par le chemin de fer. A l’ombre de la quête de richesse de Frank et de la quête de vengeance d’Harmonica, s’esquisse le destin de l’Amérique, la naissance d’une nation et d’une société.
Ces hommes d’une autre époque sont figés hors du temps, dans leurs souvenirs qui deviennent une figure narrative essentielle du film, sous la forme de flash-back qui éclairent progressivement le présent. Tout est dit dans le titre : «
Il était une fois… » et donne à l’histoire une dimension légendaire. Dès l’introduction, le temps s’étire dans une séquence de plus de 10 minutes où trois chasseurs de primes attendent Harmonica dans une gare plantée au milieu du désert.
Léone filme l’ennui d’hommes d’action déjà presque réduits à l’inactivité (gouttes d’eau qui s’écoulent, mouche qui bourdonne, doigts qui craquent… dans un silence de mort) et qui deviennent le symbole de la fin d’une époque, d’un siècle, celui de l’anarchie et des grands espaces. Nul doute que
Léone ait choisi volontairement ce vieux routard du Western, qu’est
Jack Elam pour débuter son film.
Dans la ville de Flagstone où Frank affronte des membres de son gang, le temps suspend son vol une nouvelle fois. Ce «duel », si indissociable du Vieil Ouest, se déroule sous les hospices d’horloges récemment peintes sur les murs auxquelles il manque les aiguilles. Des hommes du passé qui s’affrontent dans un ballet d’une autre époque. Ces chasseurs de primes, ces bandits n’ont plus leur place dans cette société qui se construit, dans cet Ouest en mutation, où le chemin de fer réduit les distances et les espaces inaccessibles, où l’esprit d’entreprise préfigure le capitalisme.
Presque tous ces personnages d’un autre temps sont introduits dans l’histoire, comme s’ils entraient sur une scène de théâtre, dans une pièce qui conterait leur légende. Les trois chasseurs de primes de la séquence d’introduction, surgissent dans l’encadrement d’une porte, Cheyenne est annoncé hors champ, par des coups de revolver qui résonnent comme les trois coups du théâtre puis s’avance dans l’auberge et comme un rideau qui se lève, un train qui part, révèle la présence d’Harmonica. Seul Frank entre dans le champ, par un mouvement circulaire de la caméra, un artifice propre au cinéma, symbole du progrès auquel cet homme du passé tente de s’accrocher pour s’enrichir et se faire une place dans cette nouvelle société.
Dans ce requiem du vieil Ouest se reflète l’adieu au western de Sergio Leone. Il était une fois dans l’Ouest est à la fois un hommage au genre qu’il créa le Western Spaghetti et un tribut au Western de l’âge d’or. Les références sont multiples : la scène d’introduction rappelle le Train sifflera trois fois, le chant des cigales qui s’interrompt pour annoncer un danger et le massacre de la famille McBain fait allusion à La Prisonnière du désert, la tenue de Frank provient de l’Homme aux colts d’or, la première rencontre entre Cheyenne et l’Harmonica évoque la première rencontre entre Doc Holliday et les frères Earp dans la Poursuite infernale… Prouvant que, si Sergio Leone explosa l’imagerie d’Epinal d’un Ouest utopique et héroïque, il en était aussi un peu l’héritier.
Sergio Leone nous livre une véritable leçon de réalisation. Sa mise en scène alternant les ruptures de tons et de rythmes dynamise le film et relance chaque fois l’intérêt. Sa maîtrise de l’espace lui permet de jouer avec le champ de vision du spectateur, pour le déstabiliser et le surprendre à chaque fois, dans une alternance, de cadrages originaux, de travelings sublimes, de plans larges suivis immédiatement de gros plans et de très gros plans. Il était doué de ce don si rare d’insuffler du charisme à des personnages secondaires, à la présence pourtant si fugace à l’écran, transformant leur apparition en monument du 7ème art. Aux images de Sergio Leone répond la musique d’Ennio Morricone. Elle souligne chaque action, chaque évènement, chaque mouvement, chaque humeur et se substitue bien souvent à la parole. Ennio Morricone n’est plus simplement le compositeur, mais devient littéralement le scénariste-lyrique d’un film où l’image et la musique s’harmonisent et se fondent de manière fascinante, tel un opéra baroque.
Cinq personnages qui se croisent et cinq compositions magistrales. L’Harmonica, Frank et Cheyenne des hommes d’un monde qui s’éteint, celui de la loi du colt. Pour Harmonica (Charles Bronson) seul compte la vengeance et les évènements tragiques du passé. Il est un pistolero énigmatique, finalement bien plus proche de Mortimer que de l’Homme sans nom. Cheyenne (Jason Robards), le bandit romantique, celui qui ne peut survivre au déclin du vieil Ouest. Frank, le tueur implacable au regard de glace qui tente de se faire une place dans ce nouveau siècle qui commence, en usant de la violence d’un autre temps et se fait rattraper par les massacres du passé. Incroyable interprétation d’un Henry Fonda qui parvient en quelques minutes (deux regards qui se croisent et le meurtre d’un enfant) à faire oublier tout ses rôles de héros. Morton (Gabriele Ferzetti), le propriétaire de la compagnie de chemin de fer, l’homme d’affaire, l’homme du présent, celui qui représente l’inexorable avancé du progrès et de la civilisation. Il devrait être le symbole d’un futur prometteur, mais la maladie qui le ronge, lui dénie tout espoir. Une maladie allégorie de la corruption sur lequel il a bâti sa fortune. Jill McBain (Claudia Cardinale), la seule héroïne « Léonienne », mais quelle femme, la seule qui réussit à s’extirper de la fange du passé pour se construire un avenir. La femme autour de laquelle gravitent tous ces hommes et qui joue de ses atouts pour survivre dans un monde de brutes. Autrefois prostituée, elle a su, avant que sa beauté se fane, se parer de la respectabilité de la femme mariée. Battante, faisant table rase des outrages et violences du passé, par un twist du destin, elle récolte le fruit du labeur et du tempérament visionnaire de son défunt époux et se tourne vers l’avenir avec espoir. Elle est le véritable visage du futur, la promesse d’espoir de l’Amérique de demain.
Il était une fois dans l'Ouest est un chef-d’œuvre intemporel, une fresque épique dont les étendues arides, les mélodies envoutantes et les personnages continuent de nous hanter bien après la dernière bobine.