Peut-être serait-il temps que j’abandonne cette quête d’une adaptation enfin fidèle des
Trois mousquetaires. A chaque fois c’est le même topo : j’espère, je m’enthousiasme durant les premières minutes et puis je m’aperçois que ça ne tient pas les promesses, que l’on tombe dans une énième resucée qui va jouer la carte du cape et d’épées familial. Pas forcément un mal non plus, j’imagine que des générations de mômes ont eu les mirettes pétillantes de joie à découvrir ces films et que plus tard, devenus adultes, ils ont su retrouver avec plaisir ces pelloches colorées et délicieusement surannées. Bref peu importe la fidélité à une œuvre tant qu’on a l’ivresse. Après, le problème, c’est que le roman devient limité à une vision stéréotypée qui passe à côté de tout ce qui fait sa profondeur. Et c’est bien dommage.
Les Trois Mousquetaires fait partie de ces œuvres que tout le monde connait mais que personne n’a lu.
Mylène Demongeot, elle, l’a lu, et ce qu’elle a écrit dans ses mémoires sur sa participation à la version de
Borderie résume bien l’étendue du désastre de ces adaptations :
« J’apprends par les journaux que les frères Borderie, Charles et Raymond, les producteurs des Sorcières de Salem, vont mettre en chantier avec le metteur en scène Bernard Borderie, fils du second, Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas. Un de mes livres bien-aimés et un rôle dont je rêve, celui de la fameuse Milady de Winter.
Là, je ne perds pas une seconde et je fonce les voir. Je leur dois encore par contrat deux films avec un salaire extrêmement bas mais je m’en fous complètement. Ce rôle, je le veux. Je leur fais une guerre obstinée. Ils me trouvent trop jeune ? Je leur prouve par A + B que les héros de Dumas sont jeunes… Je les supplie de me faire confiance et j’obtiens le rôle à l’arrachée. Épuisée mais ravie. […] Mais je vais, encore une fois, être déçue. Par le scénario. Pourquoi s’obstiner à faire autre chose que ce qui a été écrit par un merveilleux feuilletoniste ? Personne ou presque ne peut rien faire mieux que lui. Toutes les adaptations seront toujours moins fortes, moins visuelles, moins impétueuses, moins érotiques que l’original… Je me souviens d’une scène dans le lit de Milady la nuit, où, profitant de l’obscurité, D’Artagnan remplace en douce le comte de Wardes… Personne, à ma connaissance, ne l’a encore jamais portée à l’écran. »Il est vrai qu'adapter un roman de 600 pages en un film impose quelques coupures. Mais Demongeot parle ici du ton, de l'esprit de l'oeuvre. Et c'est vrai que le jour où l’on verra une version dans laquelle d’Artagnan se tapera Milady n’est manifestement pas encore arrivé. C'est bien dommage car on s'apercevrait :
- que l’amour de d’Artagnan pour Constance n’est pas toujours solide, loin s’en faut.
- que Richelieu n’est pas un ennemi démoniaque, limite une ordure. Chez Dumas il est le grand homme politique magnanime devant lequel d’Artagnan tombera à genoux de respect.
- que d’Artagnan n’est pas tout le temps en train de combattre en bondissant dans tous les sens et en envoyant trente six mille vannes. Qu’il est aussi parfois un petit pantin sans saveur et quelqu’un de vulnérable dans la deuxième partie.
- qu’Athos est justement le big boss dans cette deuxième partie. Et chacun de ses gestes, chacune de ses paroles suscite l’admiration du lecteur.
- que le même Athos est dans la première partie un médiocre alcoolique et qu’il a autrefois commis un crime odieux.
- que les dialogues de Dumas sont tout simplement géniaux, à des années lumière du saucissonnage indigent que les dialoguistes nous livrent (
Demongeot a ici entièrement raison).
- que Rochefort n’est pas un bouffon d’escrimeur destiné à être tué par d’Artagnan.
- que Milady meurt d’une manière terrifiante.
- qu’elle use de tous ses charmes dans cinq chapitres hallucinants durant lesquels elle manipule et transforme son geôlier en criminel.
Etc etc.
Les Trois Mousquetaires, pour résumer, ce n’est pas qu’une histoire pour les mouflets. C’est avant tout une histoire sombre, avec un érotisme discret mais réel, une noirceur qui aurait été du meilleur effet si la
Hammer s’était lancée dans une adaptation, et une profondeur que l’on ne voit jamais (je précise que je n’ai pas tout vu non plus). La version de
Borderie n’échappe pas à la règle. On peut l’apprécier avec un regard d’enfant. C’est un regard que je peux avoir lorsque je regarde
le Capitan mais là, en digne hard fan de
Dumas, je suis resté de marbre. On peux trouver
Jean Carmet en Planchet rigolo, je l’ai trouvé gênant et agaçant. On peut trouver
Demongeot séduisante en Milady, et elle l’est certainement, je l’ai trouvée à demi convaincante avec sa voix qui casse l’image d’ange doucereux mais dangereux que peut avoir Milady (dans les chapitres avec Felton on précise assez combien sa voix est une arme aussi dangereuse que sa beauté).
Le seul point positif, en dehors des costumes et des décors qui dénote un certain savoir faire et qui, la patine du temps aidant, ne sont pas sans charme, c’est le fait que cette version s'étend sur deux films d’une heure quarante et du coup, on entre un peu plus dans les détails du texte. Mais seulement un peu plus. Si la scène avec le conseiller Séguier s’appretant à fouiller les nichons de la reine est une bonne surprise, quid du mythique épisode bastion Saint Gervais (hallucinant que ce passage soit systématiquement omis ) ? quid de l’assassinat de Buckingham ? et, comme l’a évoqué la
Demongeot, quid du vit de d’Artagnan dans le conet d’amour de Milady ? Devant tant d’oublis scandaleux il n’y a qu’une chose à dire :
« À MOI MOUSQUETAIRES ! »